10.1.1.3 Le nerf pathologique

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Questions VRAI/FAUX
1) La genèse des syndromes canalaires est caractérisée par un mécanisme lésionnel ischémique.
2) Environ 24 heures après un traumatisme, la dégénérescence dite wallérienne débute par la partie proximale du nerf périphérique.
3) L’amyotrophie survient quand le pourcentage d’unité motrice chute sous les 20%.
4) Un axone ne peut former qu’une seule catégorie de bourgeonnement axonal dit “sprouting”.
5) Une lésion du nerf périphérique et sa régénération vont entraîner des modifications fonctionnelles des aires corticales.
Physiologie du nerf traumatisé
Les traumatismes des nerfs périphériques sont fréquents et source de handicaps significatifs. Leur prise en charge aboutit dans certains cas à une récupération fonctionnelle, restant cependant souvent incomplète et aléatoire, malgré l’utilisation de techniques chirurgicales de réparation parfois sophistiquées.
Deux classifications principales des lésions des nerfs périphériques ont été établies par Seddon3 et Sunderland4 (Figure 12). Seddon propose une segmentation des atteintes, basée sur la fonction résiduelle au sein du nerf. Il distingue trois grades : neuropraxie, axonotmésis, neurotmésis. Sunderland ajoute deux degrés supplémentaires entre axonotmésis et neurotmésis.

Mécanismes physiopathologiques
Les étiologies des lésions nerveuses les plus courantes sont les accidents de la voie publique, au premier chef desquels on retrouve les accidents de véhicules à deux roues. Statistiquement, les lésions des nerfs périphériques sont plus fréquentes au niveau des membres supérieurs (73,5 % des lésions traumatiques) et concernent en particulier le nerf ulnaire. Les mécanismes lésionnels les plus fréquemment impliqués sont la traction, la section, l’écrasement et dans une certaine mesure l’ischémie en rapport avec les effets d’une compression du nerf périphérique.
Il nous paraît important d’insister sur ce mode de souffrance, dans la mesure où c’est celui qui caractérise, par ailleurs, la genèse des syndromes canalaires quel qu’en soit le siège.
Une compression brutale va générer un arrêt de la conduction nerveuse, et des transports axonaux, entraînant une paralysie totale motrice et sensitive (ischémie nerveuse aiguë, suivie d’une restauration survenant en quelques minutes : exemple du nerf fibulaire après maintien des jambes croi-sées, ou paralysie du réveil avec compression du nerf médian au canal brachial...).
Une compression chronique entraîne initialement une dégénérescence limitée par l’intégrité des membranes basales. Au début apparaissent une distorsion et un télescopage de la myéline paranodale. Plusieurs couches de myéline peuvent être atteintes, avec ralentissement de la conduction. Au niveau du segment atteint, la myéline peut se rétracter, en formant des bulbes d’oignon, et entraîner une augmentation quantitative du collagène endo-neural. Des phénomènes ischémiques coexistent avec rupture de la barrière hémato-endo-neurale (Figure 13). La pérennisation de la compression aboutit à une dégénérescence du nerf distal, avec amyotrophie, la paralysie étant de survenue tardive. La levée de la compression va entraîner une restauration complète de la fonction si elle est pratiquée avant la survenue de cette dénervation. L’efficacité du traitement des syndromes canalaires l’illustre aisément. La myéline ancienne est remplacée, une prolifération des cellules de Schwann en assure la reconstitution. Des phases répétées de démyélinisation et de remyélinisation peuvent se succéder, voire coexister dans des zones voisines. Les segments nerveux atteints montrent des formations de cellules de Schwann, en bulbe d’oignon, et une augmentation de la densité du tissu interstitiel endo-neural par la prolifération du collagène. La continuité des membranes basales autorise pendant longtemps la récupération fonctionnelle après traitement.
Dégénérescence nerveuse
Au cours des lésions traumatiques aiguës ou lors de compressions chroniques n’entraînant pas de rupture de la continuité axonale (lésions de premier degré), on constate, comme seule anomalie morphologique évidente, des modifications de la gaine de myéline, commençant par une contusion, s’étendant jusqu’à la région paranodale concernée (Figure 14). Elle peut s’étendre à quelques segments adjacents et engendrer une diminution des vitesses de conduction. Dans les lésions aiguës, on peut observer des blocs de conduction alors que l’examen électrophysiologique de chacune des extrémités nerveuses reste normal. Il existe un processus régénératif qui aboutit à une remyélinisation, après élimination de la gaine de myéline lésée. Dans les compressions chroniques, les phases de démyélinisation-remyélinisation se succèdent pour aboutir à la formation d’une morphologie segmentaire en bulbe d’oignon, liée à la prolifération des cellules de Schwann et à l’expansion du contenu interstitiel endoneural envahi par du matériel collagénique. Dans les lésions du second degré et plus, il existe des changements visibles au niveau du site lésionnel mais c’est surtout le segment distal qui va être le siège d’un processus de dégradation antérograde, appelé dégénérescence wallérienne, selon une cascade d’évènements dont le déclenchement initial est calcium-dépendant. Les premières modifications aboutissent à une fragmentation axonale et myélinique et débutent dans les heures qui suivent le traumatisme. Il se produit selon la même cinétique que la dégénérescence antérograde wallérienne, une dégénérescence rétrograde. Elle ne touche en général que quelques segments avec une séquence lésionnelle identique (Figure 15).
La dégénérescence est maximale après section du nerf comportant ipso facto une interruption des membranes basales et la faillite fonctionnelle du pôle émetteur du neurone, l’arbre somato-dendritique étant le pôle récepteur. La réponse du nerf périphérique est unique, ce qui le différencie des éléments constitutifs du système nerveux central. L’existence de mécanismes compensateurs initiés, au sein des motoneurones, lors de processus pathologiques ou traumatiques, ne fait nul doute aujourd’hui5,6. Il a ainsi été démontré qu’après des lésions axonales, les neurones du système nerveux périphérique étaient capables de régénérer leurs axones pour réinnerver des cibles variées7.


Mécanismes de réparation neuronale
Dans les traumatismes sévères, la régénération ne commence qu’après la fin de la phase de dégénérescence Wallérienne alors que dans les lésions modérées, le processus débute presque immédiatement. Une cascade d’évènements succède au traumatisme, mettant en jeu des facteurs neurotrophiques et des molécules de signalisation cellulaire. Les cellules de Schwann y jouent un rôle indispensable, d’une part en intensifiant la synthèse de molécules d’adhésion à leur surface et en favorisant la croissance de la matrice protéique extracellulaire ; et, d’autre part, en activant certains gènes par le biais de facteurs neurotrophiques se liant à des récepteurs tyrosine kinase.
Bourgeonnement axonal
Lorsqu’une lésion survient sur un nerf périphérique, un axone repousse à partir du fragment proximal jusqu’au fragment distal en cours de dégénérescence, en le colonisant par tunnellisation pour atteindre de nouveau la synapse et reformer une nouvelle terminaison nerveuse. Les motoneurones peuvent ainsi constituer une nouvelle JNM, mais aussi des synapses des trois types d’axones du SNP (moteur, sensoriel et autonome).
Le principal mécanisme mis en jeu est représenté par le bourgeonnement axonal (Axonal Sprouting). Celui-ci permet aux motoneurones survivants d’augmenter la taille de leur Unité Motrice (UM) (incluant le motoneurone et toutes les fibres musculaires innervées par celui-ci) en allant réinnerver les fibres musculaires dénervées pour atteindre plusieurs fois la taille d’une UM normale8,9,10,11,12,13,14,15. Cependant, lorsqu’il ne reste plus que 20 % d’UM fonctionnelles, la capacité d’accroissement de l’UM est insuffisante pour réinnerver toutes les fibres musculaires dénervées : on assiste alors à la survenue d’une amyotrophie16,17,18.
Le bourgeonnement axonal (BA) permet l’émergence de fines ramifications axonales en provenance des axones sains. Il débute au niveau de l’extrémité proximale des fibres lésées, habituellement dans les heures qui suivent le traumatisme, mais il peut parfois s’écouler plusieurs jours avant que le prolongement cellulaire n’émerge de l’extrémité proximale lésée. Un cône de croissance se forme à l’extrémité de l’axone en régénération. Il s’agit d’un appareil spécialisé, capable de motilité, doué de propriétés « d’exploration ». Les caractéristiques du tissu cicatriciel au niveau du site traumatique, si elles sont défavorables, peuvent empêcher l’axone de rejoindre l’extrémité distale, s’égarant alors dans le tissu conjonctif et poussant de façon anarchique pour former un névrome au niveau du moignon proximal (Figure 15). Quelques axones peuvent tout de même franchir la cicatrice, réalisant alors un névrome dit « de continuité ».
Trois catégories de BA sont définies en fonction du niveau d’émergence du bourgeon : le sprouting dit « ultra-terminal » dirige le bourgeon axonal jusqu’aux JNM (Figure 16A) avec une émergence provenant de l’axone principal juste avant son épanouissement dans les gouttières synaptiques ; le sprouting pré-terminal émergeant plus à distance de la terminaison axonale (Figure 16B) ; et le sprouting nodal en regard des nœuds de Ranvier (Figure 16C). Une germination axonale intense devient nécessaire lorsque plus de 85 % des motoneurones ont été détruits et reste aléatoire lorsque seuls 20 % de ces derniers subsistent. Dans les cas extrêmes, un seul axone peut alors émettre plusieurs types de bourgeonnements, voire plusieurs pousses de même type (Figure 16D). La capacité des motoneurones à accroître le nombre de fibres musculaires au sein de leur UM, grâce au BA, par un facteur 3 à 8, a été mise en évidence par des expériences électrophysiologiques8,9,10,11. De plus, il a été démontré que, malgré une diminution du nombre d’UM lors de dénervations, les UM restantes compensaient par une augmentation de contractilité proportionnelle à l’importance de la dénervation12,13.
Le bourgeonnement axonal est un paramètre fondamental à considérer dans la tentative de compréhension des mécanismes physiopathologiques responsables d’une perte motoneuronale, mais aussi dans les implications cliniques qu’il peut susciter dans le cadre de pathologies variées comme la poliomyélite, la sclérose latérale amyotrophique, les lésions nerveuses traumatiques partielles ou même les dénervations fonctionnelles.
Malgré les tentatives de compensation motrice mises en jeu dans ces pathologies, il a été clairement montré qu’une absence ou, à l’inverse, une trop grande activité neuromusculaire était néfaste au bourgeonnement axonal dans les muscles partiellement dénervés de ces malades.
La compréhension des mécanismes sous-tendant ces effets contradictoires a conduit plus récemment, à proposer à ces patients des stratégies de rééducation basées sur des mobilisations musculaires modérées plus adaptées, favorisant le BA, et optimisant peut-être une récupération fonctionnelle potentielle.
Facteurs neurotrophiques
Le bon déroulement des processus de dégénérescence / régénération requiert un système de communication cellulaire sophistiqué, déclenchant des cascades de signalisation cellulaire complexes, ainsi qu’un système de facteurs trophiques et tropiques élaboré, similaire à celui des processus inflammatoires. Des facteurs comme le NGF (Neurotrophic Growth Factor), ou le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) et bien d’autres ont été identifiés et participent à la survie cellulaire et sa maintenance en conditions normales. Le NGF est, par exemple, modulé de façon extrêmement dynamique par la cible du nerf périphérique puis transporté au niveau du corps cellulaire par le flux axonal rétrograde. Sa concentration au niveau du corps cellulaire diminue au cours d’un traumatisme. Elle pourrait être le facteur moléculaire déclenchant des processus de réparation. Ces facteurs neurotrophiques se lient à des récepteurs spécifiques qui transmettent la signalisation cellulaire et régulent l’activation de nombreux gènes. On retrouve par exemple ces récepteurs sur les cellules de Schwann formant les bandes de Hanke-Büngner, leur concentration augmentant après le traumatisme. Ils sont eux-même soumis à des mécanismes de régulation complexes. Le NGF est aussi retrouvé dans le cône de croissance et transmis au corps cellulaire de manière rétrograde stimulant ainsi continuellement la croissance axonale, de même qu’il la guide par une interaction avec les cellules de Schwann.
Conséquences fonctionnelles potentielles
La régénération axonale n’implique pas une récupération fonctionnelle ad integrum. Elle se termine par un processus de maturation au sein du nouvel axone à une vitesse, inférieure à celle de sa première phase de croissance, et pouvant durer jusqu’à un an. La remyélinisation suit un scénario superposable à celui observé au cours du développement aboutissant à un alignement de cellules de Schwann qui enveloppent chaque axone d’une gaine multilamellée de myéline. Elle débute dans les deux semaines qui suivent le début de la régénération axonale.
Récupération fonctionnelle
Elle ne nécessite pas obligatoirement une restitution parfaite de l’architecture nerveuse. Cependant, les effets d’une dénervation prolongée, altérant significativement la récupération fonctionnelle, sont proportionnels à sa durée d’évolution. Ils sont liés à la fois aux difficultés de régénération nerveuse mais aussi aux modifications de la cible au niveau périphérique et central (neuroplasticité). Le facteur clé de la régénération nerveuse est la conservation des membranes basales. Même en cas de récupération motrice significative, le pronostic fonctionnel est grevé par les déficits sensitifs concomitants, en particulier proprioceptifs. Les récepteurs sensitifs peuvent persister au-delà d’un an et permettre ainsi des reconnexions fonctionnelles. Le schéma sensitif est relativement bien conservé dans les lésions du premier et second degré du fait de la connexion des bons axones aux bons récepteurs. Après des lésions plus sévères et une réparation nerveuse, la récupération sensitive n’est jamais complète. Enfin, il faut souligner le caractère très médiocre de possibilité de régénération des fibres végétatives. De nombreux facteurs participent à cette défaillance, notamment l’impossibilité pour certains axones de regagner les récepteurs, l’existence de réinnervations croisées, ainsi qu’une possible dégradation de certains récepteurs ou, enfin, des modifications corticales liées à la neuroplasticité.
Neuroplasticité
Une lésion du nerf périphérique et sa régénération vont entraîner des modifications fonctionnelles des aires corticales correspondantes. Ces modifications se retrouvent au niveau des projections thalamiques, du tronc cérébral et probablement au niveau médullaire selon une séquence encore inconnue. Ce phénomène entre dans le cadre de la plasticité cérébrale. Le recouvrement sera total si les zones dénervées sont limitées, partiel si elles sont étendues avec des zones corticales résiduelles silencieuses. L’échéance de ces substitutions-réorganisations se divise en une première phase précoce de réactivation rapide de quelques heures, 24 heures après le traumatisme et en une seconde phase ensuite plus progressive. On observe les mêmes phénomènes sur le versant moteur. Au cours des lésions des nerfs périphériques, il existe des modifications sensorielles dues aux modifications corticales : des sensations aberrantes dues aux substitutions d’influx et à la sur-représentation des zones adjacentes générant une hyperpathie, des difficultés de localisation, une astéréognosie, une hypersensibilité (hyperesthésie, hyperpathie, dysesthésies). Les douleurs de membres fantômes trouvent une partie de leur substrat anatomique dans ces remaniements. La régénération du nerf périphérique, imparfaite, va de nouveau perturber cette organisation. La reconquête des aires de projection restera en général incomplète, même après une durée d’évolution longue. Elle se fait souvent dans le désordre, en patch, certaines zones réinnervées pouvant avoir plusieurs représentations ou aucune. Ces représentations peuvent être mal localisées. La dernière réorganisation aboutit à une aire de représentation corticale plus petite, dysharmonieuse, conservant des patchs de représentation des zones adjacentes. Ce compromis territorial est souvent générateur de dysfonctionnement.
Conclusion
La réponse du nerf périphérique à un traumatisme est unique et diffère de celle rencontrée au niveau du système nerveux central. Elle se déroule selon un processus complexe de dégénérescence et régénération qui demeure actuellement partiellement élucidé. Les progrès de la biologie moléculaire et cellulaire apportent un espoir supplémentaire quant à de futures avancées thérapeutiques médico-chirurgicales dans la prise en charge des lésions du nerf périphérique, en optimisant les capacités déjà étonnantes de régénération spontanée. Peut-être pourront-ils aussi permettre de mieux comprendre pourquoi le SNC ne possède pas de telles propriétés et apporter des stratégies de stimulation de la régénération au niveau du névraxe comme au niveau du système nerveux périphérique ?
Réponses
1) Vrai
2) Faux - distale
3) Vrai
4) Faux- Dans certaines situations il peut combiner les 3 BA.
5) Vrai
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