2.2.5 L’ischémie cérébrale retardée

Hélène Cébula, M.D., neurochirurgie, CHRU Strasbourg, mai 2020

Questions :

1) L’ischémie cérébrale retardée est caractérisée par :
1-Un déficit transitoire d’une durée inférieure à une heure
2-Un déficit neurologique en rapport avec le traitement de l’anévrysme
3-Une perte de deux points de Glasgow
4-Un déficit neurologique focal
5-La présence d’une hydrocéphalie

2) Les mécanismes possibles de l’ischémie cérébrale retardée sont :
1-Une dysfonction endothéliale
2-La présence de microthrombi dans les vaisseaux
3-L’apparition d’ondes de dépolarisation corticale
4-La présence d’une activité anti-inflammatoire
5-La présence de spasmes microvasculaires

3) Le traitement de l’ischémie cérébrale retardée comporte :
1-En première intention, un traitement mécanique par angioplastie
2-Un traitement par nimodipine
3-Un traitement par statine
4-Un traitement par nicardipine
5-Un traitement par milrinone

Memento didactique :

1) Introduction
Les principales complications de l’hémorragie sous arachnoïdienne anévrysmale sont le resaignement, l’hydrocéphalie, le vasospasme et l’ischémie cérébrale retardée (ICR).
L’ICR est considérée comme une des principales causes de morbi-mortalité de l’hémorragie sous arachnoïdienne anévrysmale avec une incidence variable entre 30 à 40% et un pic situé entre J4 et J10. Il s’agit d’une ischémie non provoquée par le mécanisme primaire ou par une complication systémique, survenant à distance d’une hémorragie sous arachnoïdienne pouvant évoluer vers un infarctus cérébral(1).
Le diagnostic de l’ICR repose sur la survenue d’un déficit neurologique focal ou d’une perte d’au moins 2 points de Glasgow, absent après l’occlusion de l’anévrysme, et d’une durée d’au moins une heure. L’ICR ne doit être envisagée qu’après avoir éliminé les diagnostics différentiels (notamment une hydrocéphalie) par l’imagerie ou la biologie (comme par exemple une hyponatrémie. C’est un diagnostic d’exclusion (2). (Vidéo : Les complications spécifiques des hémorragies sous-arachnoïdiennes : diagnostic et prise en charge. Thomas Gaberel).
L’ICR doit être distinguée du vasospasme. L’idée initiale que le vasospasme conduise à l’ICR était intéressante. Cependant, il existe un lien temporel et spatial inconstant entre vasospasme et ICR. 25% d’ischémies vues au scanner ne sont pas localisées dans le même territoire du vasospasme. De plus, les vasospasmes ne sont pas tous symptomatiques, seulement 50% de vasospasmes vont développer une ICR. Ces observations ont remis en cause ce lien direct et unique entre vasospasme et ICR mettant en valeur d’autres mécanismes physiopathologiques.

2) Physiopathologie
La physiopathologie de l’ICR est complexe et beaucoup de questions restent actuellement en suspens. Plusieurs mécanismes semblent être intriqués : inflammatoire, thrombotique, vasospasme, spasme microvasculaire, ischémie corticale progressive et perte de l’autorégulation cérébrale (3) (Vidéo : Hémorragie sous-arachnoïdienne. Prise en charge en réanimation. Alain Meyer).
A la phase aigüe (avant le troisième jour), les lésions tissulaires sont responsables d’une mort cellulaire par apoptose et/ou nécrose et d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique. L’extravasation de sang est responsable d’une augmentation de l’activité inflammatoire et d’une libération des cytokines pro-inflammatoires (Interleukine 6, 1, MMP-9 et TNF).
En parallèle, il existe une activation prothrombotique favorisant une agrégation plaquettaire avec l’apparition de microthrombi dans les vaisseaux (avec augmentation du facteur de Willebrand et perte du collagène IV)(2). Ces mécanismes à la phase aiguë favorisent l’œdème cérébral contribuant à l’apparition d’une ICR. De nombreuses études soulignent l’importance des lésions cérébrales précoces débutant au moment du saignement.
En outre, l’apparition d’une perte de l’autorégulation cérébrale induit une baisse du débit sanguin. A ce moment, toutes modifications de la pression de perfusion cérébrale induites par des variations de pression intracrânienne ou de pression artérielle systémique participent au développement de l’ICR par baisse du débit sanguin cérébral.
Après le troisième jour, des spasmes microvasculaires secondaires à une dysfonction endothéliale entraîneraient une vasoconstriction avec augmentation de la perméabilité capillaire. Une vasculopathie se met en place avec des modifications structurelles de l’endothélium caractérisées par la présence abondante de myofibroblastes et de collagène de type V.
Des ondes de dépolarisation corticale peuvent se surajouter. Ces ondes sont caractérisées par une dépolarisation corticale progressive progressant de proche en proche conduisant à une diminution de l’activité électrique corticale. Ces ondes peuvent être couplées à une baisse régionale du débit sanguin cérébral secondaire à une réaction vasoconstrictive pouvant aggraver des lésions cérébrales ischémiques.
Enfin, le vasospasme s’additionne à ces différents mécanismes par diminution du débit sanguin cérébral. Le diagnostic de vasospasme est défini par l’accélération des vitesses du sang dans les artères cérébrales (en cm/s) au doppler transcrânien ou par une réduction de calibre radiologique.

3) Diagnostic
Le diagnostic est avant tout clinique (voir le chapitre définition).
Néanmoins, chez un patient inconscient, d’autres outils seront nécessaires comme le doppler transcrânien ou le scanner de perfusion permettant d’obtenir un faisceau d’argument en faveur du diagnostic d’ICR.
Le doppler transcrânien permet de mettre en évidence un vasospasme et non une ICR. En effet, 30-40% d’ICR vont avoir des doppler normaux. Par contre, l’accélération rapide des vitesses (>50cm/s en 24h) ou des vitesses > 200cm/s sont des facteurs de mauvais pronostic fonctionnel.
Le scanner de perfusion permet d’étudier quatre paramètres : MTT (intervalle de temps moyen nécessaire à un bolus de produit de contraste iodé pour traverser le réseau capillaire cérébral) ; VSC (fraction de parenchyme cérébral occupé par les vaisseaux sanguins) ; DSC (débit sanguin cérébral) et le TTP (temps jusqu’au rehaussement maximal de contraste). Le paramètre MTT est le paramètre le plus sensible pour détecter des territoires à risque (valeur > 6.4s).
Néanmoins, ces examens complémentaires ne permettent pas d’affirmer le diagnostic d’ICR qui reste un diagnostic clinique.

4) Traitement

Traitement local
Ce traitement est basé sur l’existence d’une corrélation positive entre la quantité de sang et le risque de vasospasme. Différentes modalités ont été analysées ou sont en cours d’étude : le lavage des citernes par voie chirurgicale ou via un drainage lombaire, l’injection de thérapie intrathécale par nicardipine ou nimodipine ou la fibrinolyse intraventriculaire (étude en cours) agissant sur le système glymphatique possédant un rôle dans la clairance des métabolites (Vidéo : Les complications spécifiques des hémorragies sous-arachnoïdiennes : diagnostic et prise en charge. Thomas Gaberel). Il existe une faible évidence dans la littérature sur l’intérêt des thérapies locales et les résultats des études en cours permettront de statuer sur des nouvelles recommandations.

Traitement systémique
Seule la nimodipine (dihydropyridine possédant une activité antagoniste du calcium) a démontré son efficacité dans la prévention de l’ICR (recommandation de niveau 1). Elle exerce une action bénéfique sur le pronostic fonctionnel sans effet sur le développement ou non du vasospasme. La nicardipine, antagoniste des canaux calciques semble diminuer le vasospasme mais sans effet sur le pronostic fonctionnel et donc non recommandé dans la prévention de l’ICR (3).
La milrinone, inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase 3, ayant un effet vasodilatateur et anti-inflammatoire semble avoir un effet sur le DCI, est généralement prescrite en seconde intention. Le clazosentan, les statines, le magnésium, l’hypervolémie prophylactique n’ont pas démontré d’efficacité dans la prévention de l’ICR et ne sont plus recommandés.

Traitement interventionnel
Le traitement mécanique par angioplastie ou par injection intra-artérielle de molécule vasodilatatrice agissant sur un spasme n’est pas recommandé en première intention (recommandation de classe IIb, niveau B) et doit être discuté au cas par cas. Ce traitement est recommandé en cas de spasme symptomatique réfractaire sur des patients sélectionnés qui restent à définir (4).

Points Forts

• L’ICR est une des principales causes de morbi-mortalité de l’hémorragie sous arachnoïdienne anévrysmale
• Son incidence est de 30 à 40%
• Plusieurs mécanismes semblent intriqués et le vasospasme représente une des causes de l’ICR
• Le diagnostic de l’ICR est clinique et caractérisé par l’apparition d’un déficit neurologique focal ou d’une perte d’au moins 2 points de Glasgow, d’une durée d’au moins une heure, après avoir éliminé les diagnostics différentiels
• Seule la nimodipine a démontré son efficacité dans la prévention de l’ICR

Points Faibles

• Les mécanismes physiopathologiques sont encore incertains
• Le diagnostic de l’ICR chez un patient comateux reste difficile
• La place des techniques locales et endovasculaires dans l’arsenal thérapeutique reste à définir

Réponses :

Question 1 : Réponse 3 et 4
Question 2 : Réponse 1 ; 2 ; 3 et 5
Question 3 : Réponse 2 et 5

Références annotées


1. Mounier R, Martin M, Cook F, Plaud B, Dhonneur G. Déficit ischémique secondaire et hémorragie méningée, un nouveau paradigme. Anesth Réanimation [Internet]. 2016 Dec [cited 2020 Jun 2] ;2(6):391–400. Available from : https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S2352580016300661

Il s’agit d’une mise au point réalisé par la SFAR permettant de comprendre les différentes hypothèses physiopathologiques. Leur recherche bibliographique a porté sur Medline et Ovid, les recommandations d’experts et enfin sur des chapitres d’ouvrage de référence.

2. Foreman B. The Pathophysiology of Delayed Cerebral Ischemia. J Clin Neurophysiol Off Publ Am Electroencephalogr Soc. 2016 Jun ;33(3):174–82.

3. Budohoski KP, Guilfoyle M, Helmy A, Huuskonen T, Czosnyka M, Kirollos R, et al. The pathophysiology and treatment of delayed cerebral ischaemia following subarachnoid haemorrhage. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2014 Dec ;85(12):1343–53.
Deux revues expliquant les différents mécanismes responsables de l’ICR

4. Veldeman M, Höllig A, Clusmann H, Stevanovic A, Rossaint R, Coburn M. Delayed cerebral ischaemia prevention and treatment after aneurysmal subarachnoid haemorrhage : a systematic review. Br J Anaesth. 2016 ;117(1):17–40.
Une revue de la littérature (utilisant Pubmed, ISI Web of science et Embase) selon la méthode PRISMA présentant les mécanismes de l’ICR avec la réalisation de recommandations thérapeutiques.

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