2.1. Epidurite infectieuse rachidienne
Anissah NASSIHI, M.D., Stéphane DERREY, M.D., Ph.D., CHU Rouen, Décembre 2021.
QCM
1. Concernant l’épidémiologie de l’épidurite infectieuse rachidienne, quelles sont les propositions vraies :
A. L’épidurite infectieuse touche plus les hommes que les femmes
B. L’incidence de la pathologie a fortement diminué depuis 20 ans
C. Le taux de mortalité est aux alentours de 10% dans la littérature
D. Le pic d’incidence est autour de 40 ans
E. L’étiologie de l’épidurite infectieuse la plus fréquente est la spondylodiscite.
2. Concernant le traitement, quelles sont les propositions vraies :
A. L’épidurite est représente une urgence diagnostique et thérapeutique
B. La chirurgie n’est pas forcement toujours recommandée pour le traitement de cette pathologie.
C. L’antibiothérapie doit être instaurée en urgence après les prélèvements bactériologiques et avant le résultat de ceux-ci.
D. L’utilisation de corticoïdes est formellement contre indiquée dans cette pathologie.
E. La pose de matériel de fixation est contre indiquée du fait du caractère infectieux.
3. Quelles sont les propositions vraies :
A. La triade clinique faisant évoquer le diagnostic associe des douleurs dorsales, de la fièvre ainsi que des troubles neurologiques.
B. L’épidurite infectieuse est une complication fréquente des spondylodiscites.
C. La localisation la plus fréquente des épidurites infectieuses est la région cervicale.
D. L’évolution est souvent très lente.
E. Les troubles neurologiques n’apparaissent que tardivement.
4. Concernant l’imagerie, quelles sont les propositions vraies :
A. La myélographie est nécessaire dans le bilan complémentaire d’imagerie pour l’épidurite infectieuse.
B. L’abcès épidural se présente en hypersignal T1 à l’IRM.
C. Il n’y a pas de rehaussement après injection de produit de contraste, ce qui différencie l’épidurite infectieuse de l’épidurite métastatique.
D. Le scanner rachidien est inutile pour la planification chirurgicale.
E. La classification permettant de coter la compression médullaire radiologique possède 5 niveaux et s’effectue avec des séquences T2.
5. Quelles sont les propositions vraies :
A. Le bilan d’extension comprend systématiquement un scanner thoraco-abdominal.
B. L’apparition de troubles urinaires traduit le caractère avancé de la pathologie.
C. Les streptocoques sont responsables d’abcès épiduraux dans 2/3 des cas.
D. Un ECBU est nécessaire afin d’éliminer une translocation urinaire.
E. L’échographie cardiaque fait partie du bilan complémentaire de l’épidurite infectieuse rachidienne.
Introduction
L’épidurite infectieuse représente une collection purulente rachidienne intracanalaire plus ou moins étendue qui se situe dans l’espace épidural ou extradural à tous les niveaux du rachis.
Cette pathologie rare est néanmoins en constante augmentation. L’incidence de cette pathologie est de 0,2 à 1,2 cas pour 10 000 admissions et augmente avec le viellissement de la population. Le sex ratio est en faveur des hommes avec un rapport à 2:1 mais il n’y a pas de distinction parmi les différentes tranches d’âge (3).
La contamination, qui s’effectue soit par contiguïté avec un foyer infectieux à proximité, soit par voie hématogène, survient préférentiellement chez les patients, diabétiques, immunodéprimés (VIH, néoplasie…) et toxicomanes ou encore chez les patients suivis pour une pathologie chronique. Cette contamination peut également être iatrogène dans les suites d’un geste chirurgical ou d’une infiltration. Dans la littérature, on retrouve 14 à 22% d’épidurite secondaire à un traitement chirurgical. L’étiologie la plus fréquente reste l’épidurite compliquant une spondylodiscite ou une arthrite articulaire postérieure (4).
L’épidurite reste une pathologie grave avec 1 à 16% de mortalité selon les études (2). Mais ce taux de mortalité a fortement diminué avec les progrès de la chirurgie mais surtout grâce à l’usage d’une antiobiothérapie adaptée et prolongée.
Video : Conduite à tenir devant une infection de pompe ou d’électrodes épidurales.
Patrick Mertens.
Physiopathologie
En présence d’un abcès épidural, l’atteinte neurologique peut être causée par la compression directe du cordon médullaire ou des racines nerveuses. Toutefois un tableau clinique tout aussi bruyant peut être rencontré alors que le compression induite par la collection est modérée voire nulle.
Ce phénomène peut être expliqué par une atteinte de la microvascularisation alliant une thrombose des vaisseaux, des emboles septiques ou encore une vascularite induite par le processus inflammatoire(1,3). Ces phénomènes permettent d’expliquer le caractère assez aléatoire de la récupération neurologique malgré une prise en charge chirurgicale rapide.
Clinique
Le diagnostic d’épidurite d’origine infectieuse doit être évoqué devant l’association d’une douleur rachidienne, d’un syndrome fébrile et d’un tableau neurologique déficitaire. En pratique, cette triade existe dans seulement 8 à 37% des cas (2).
Le syndrome rachidien, souvent révélateur, est le symptôme le plus fréquemment rapporté (70-90%). Le syndrome fébrile lui n’est présent que dans un tiers des cas (2).
Les troubles neurologiques sont variables et peuvent donner en fonction du niveau lésionnel un tableau de compression médullaire ou de syndrome de la queue de cheval.
Examens complémentaires
En terme d’imagerie, l’IRM avec injection de gadolinium est l’examen de 1ère intention. Sa sensibilité et sa spécificité sont de à 90% (3). L’IRM doit être réalisée en urgence dès que l’on suspecte une épidurite infectieuse. Elle doit couvrir toute la hauteur du rachis afin de ne pas méconnaitre une 2ème localisation.
On retrouve un aspect hyper-intense en T2 et iso/hypo-intense en T1 avec un rehaussement des parois de l’abcès après injection de produit de contraste.
Le scanner rachidien est également fortement recommandé pour déceler une éventuelle atteinte osseuse associée.
La myélographie n’est pas recommandée.
L’épidurite infectieuse est plus souvent retrouvée en région thoraco-lombaire et la collection est le plus souvent épidurale postérieure et en moyenne étendue sur 3 à 4 étages (niveaux) métamériques.
On retrouve dans la littérature une classification permettant de coter la compression médullaire à l’aide de coupes axiales d’IRM en séquence T2 : (1)
Niveau 1 | Contact épidural sans déformation du sac dural |
Niveau 2 | Déformation du sac dural sans contact avec le cordon médullaire |
Niveau 3 | Contact médullaire sans déformation de la moelle |
Niveau 4 | Compression médullaire avec déformation, LCS toujours visible autour de la moelle |
Niveau 5 | Compression médullaire complète, plus de LCS visible |
Par ailleurs, dans ce contexte de pathologie infectieuse, les investigations biologiques sont indispensables. Il est ainsi recommandé de réaliser un bilan infectieux comportant une numération de la formule sanguine pour rechercher une hyperleucocytose, une VS et une CRP.
La VS reste le marqueur le plus sensible mais celle-ci n’est pas utile pour le suivi contrairement à la CRP qui pourra nous renseigner sur la réponse au traitement si celle-ci régresse.
Les hémocultures sont indispensables afin d’identifier un germe mais celles-ci ne sont positives que dans 60% des cas.
Il est également recommandé de compléter le bilan avec un examen cyto-bactériologique urinaire ainsi qu’une échographie cardiaque.
La ponction lombaire n’est plus recommandée car elle représente un risque de dissémination de l’infection et un risque d’aggravation neurologique brutale. De plus, la culture du LCS est souvent négative.
Les cultures retrouvent dans 2/3 des cas un Staphylocoque Aureus . Les autres germes fréquemment identifiés sont le Streptocoque, les BGN (E. Coli surtout) ou encore les Pseudomonas Aeruginosa pour les consommateurs de drogues par voie intraveineuse.
Traitement
Le traitement de l’épidurite infectieuse associe un drainage et une décompression chirurgicale avec une antibiothérapie adaptée. La chirurgie a souvent été considérée comme indispensable mais est plus discutée de nos jours (1)
La stratégie chirurgicale, qui doit s’adapter au terrain, est variable selon les écoles. Elle comporte le plus souvent un drainage de la collection après une laminectomie étendue selon l’extension de l’épidurite. Selon les cas, on peut associer d’emblée une fixation rachidienne. Plusieurs études ont montré sa faisabilité dans le même temps opératoire sous couvert d’une antibiothérapie adaptée (1,3). On peut enfin proposer une laminotomie avec irrigation cranio-caudale pour effectuer un lavage sans désinsertion des muscles paravertébraux (2).
L’intervention chirurgicale doit être pratiquée en urgence lorsque que le patient présente un déficit neurologique car l’évolution est imprévisible et peut être très rapide.
Le traitement anti-infectieux doit également être instauré le plus rapidement possible, mais de préférence après les prélèvements bactériologiques. Les causes d’introduction d’antibiotiques en urgence sont : le délai trop long avant la chirurgie ou les prélèvements, le déficit neurologique important d’emblée, l’apparition d’un choc septique (3).
Enfin l’utilisation de corticoïdes est controversée mais non contre indiquée (2).
La chirurgie n’est plus recommandée pour les patients qui ne présentent pas de trouble neurologique (ni de compression médullaire radiologique), les patients présentant trop de comorbidités, les épidurites trop étendues ou pan rachidiennes, les patients souffrant d’une paralysie complète depuis plus de 48-72h et enfin les patients pédiatriques. Cependant le traitement médical seul échoue dans 27 à 41%, ce pourquoi il est important discuter du traitement au cas par cas (1,2,5)
Video : Traitement chirurgical et alternatives des infections primitives crâne/rachis.
François Caire
Evolution
Il est décrit 4 à 22% de paralysies irréversibles mais si la prise en charge est rapide et efficace, la récupération neurologique peut être complète (2). L’aggravation est souvent brutale et imprévisible, ce qui nous oblige à traiter rapidement le patient dès son arrivée.
La mortalité diminue progressivement mais reste autour de 5% (2). Les facteurs de risque d’échec du traitement sont la présence de maladies chroniques (diabète), l’âge supérieur à 65 ans, l’infection à S. Aureus meti-R ainsi que l’atteinte neurologique déjà installée.(1)
Le facteur principal du résultat neurologique post opératoire dépend de la gravité du tableau neurologique initial. Le délai de prise en charge influence également beaucoup le résultat neurologique. Cependant, le résultat final ne doit être évalué qu’à au moins 1 an du traitement car la récupération peut être longue (2).
Les facteurs de risque de récidive de l’épidurite infectieuse sont : l’utilisation de drogues en intraveineux, les troubles urinaires déjà présents (traduisant le caractère avancé de la pathologie), et l’origine post opératoire de l’épidurite (5).
POINTS CLES A RETENIR :
- L’épidurite infectieuse est une pathologie rare mais grave
- L’évolution est imprévisible et la prise en charge se fait en urgence
- Le traitement repose sur l’antibiothérapie et le drainage chirurgical quand il est indiqué
- L’IRM avec injection est l’examen de référence permettant de faire le diagnostic.
REPONSES aux QCM :
1. ACE
2. ABC
3. A
4. E
5. BDE
BIBLIOGRAPHIE :
1. Schwab, Joseph H. ; Shah, Akash A. (2020). Spinal Epidural Abscess : Diagnosis, Management, and Outcomes. Journal of the American Academy of Orthopaedic Surgeons, 28(21), e929–e938. doi:10.5435/jaaos-d-19-00685
Cet article reprend l’épidémiologie ainsi que les aspects cliniques et radiologiques de la pathologie. Il réactualise la prise en charge, notamment l’interet de la chirurgie dans l’épidurite infectieuse.
2. Darouiche, Rabih O. (2006). Spinal Epidural Abscess. New England Journal of Medicine, 355(19), 2012–2020. doi:10.1056/NEJMra055111
Cet article détaille les recommandations concernant le diagnostic et le traitement des abcès épiduraux, avec un algorithme de prise en charge.
3. Marc Tompkins ; Ian Panuncialman ; Phillip Lucas ; Mark Palumbo (2010). Spinal Epidural Abscess. , 39(3), 0–390. doi:10.1016/j.jemermed.2009.11.001
Cet article reprend l’épidémiologie, la physiopathologie, la clinique et surtout les caractéristiques radiologiques de l’abcès épidural rachidien.
4. Diagnosis and therapeutic advances in spine infections ; S. Lahalle, V. Zeller, J.K. Ziza
Ce cours reprend en globalité les différentes infections du rachis à savoir la spondylodiscite, l’épidurite infectieuse ainsi que l’arthrite articulaire postérieure
5. Shah, Akash A. ; Yang, Huiliang ; Ogink, Paul T. ; Schwab, Joseph H. (2018). Independent predictors of spinal epidural abscess recurrence. The Spine Journal, (), S1529943018301347–. doi:10.1016/j.Sspinee.2018.03.023
Cet étude comprenant 1053 patients atteints d’une épidurite infectieuse analyse les facteurs de risques de récidive d’épidurite.
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