8.2.5. Tractotomie mésencéphalique
Anne BALOSSIER, Jean REGIS, neurochirurgie, Marseille & Manon DURAFFOURG, Patrick MERTENS, neurochirurgie, hôpital Pierre-Wertheimer, Bron, Novembre 2022
QCM
1) Est éligible à une tractotomie mésencéphalique, cochez la (les) réponse(s) vraie(s) :
A) une douleur neuropathique périphérique du membre inférieur
B) une douleur hémicorporelle dans un contexte de syndrome thalamique
C) une douleur mixte par envahissement locorégional d’un adénocarcinome de l’ethmoïde
D) une douleur neuropathique dans un contexte de syndrome sous lésionnel secondaire à un traumatisme médullaire thoracique
E) une douleur cervicale par excès de nociception par envahissement locorégional d’un cancer ORL
2) Concernant le geste opératoire, cochez la (les) réponse(s) vraie(s) :
A) La chirurgie doit être conduite sous anesthésie générale afin de minimiser tout risque de mouvement du patient qui pourrait induire des lésions des structures anatomiques à proximité de la cible
B) La première étape est la pose du cadre stéréotaxique
C) L’opérateur doit être vigilant quant à la présence de mouvements oculaires per opératoire
D) La thermolésion peut être effectuée de façon bilatérale dans un même temps opératoire
E) La stimulation peropératoire avant réalisation de la thermolésion est facultative
3) Quelle(s) structure(s) anatomique(s) à proximité doit (vent) être respectée(s) ? cochez la (les) réponse(s) vraie(s)
A) Le faisceau corticospinal
B) Le faisceau lemniscal
C) La substance grise péri aqueducale
D) Les faisceaux latéraux de la commissure postérieure
E) La commissure antérieure
4) La (les) complication(s) suivante(s) peut(vent) être rencontrée(s), cochez la (les) réponse(s) vraie(s) :
A) Le décès
B) Un syndrome de Parineau
C) Une diplopie
D) Des paresthésies
E) Des troubles de la déglutition
5) Concernant le rationale de la tractomie mésencéphalique et le bon timing de la chirurgie, cochez la (les) réponse(s) vraie(s) :
A) La tractotomie mésencéphalique consiste en l’interruption sélective du faisceau spino-thalamique à l’étage des colliculi supérieurs
B) A ce niveau, les voies nociceptives regroupent les fibres provenant des différents étages spinaux et aussi celles provenant du noyau spinal du nerf trijumeau (V) qui reçoit aussi les fibres des nerfs sensitifs buccaux-pharyngés (IX-X).
C) Les fibres dans le faisceau spinothalamique ont une organisation somatotopique
D) Cette chirurgie peut être proposée chez un patient atteint d’une pathologie néoplasique ORL ayant une espérance de vie longue (>18 mois)
E) Cette chirurgie peut être proposée chez un patient atteint d’une pathologie néoplasique ORL ayant une espérance de vie courte (< 6 mois)
Memento
La prise en charge de la douleur dans la maladie cancéreuse est une mission de santé publique. La majorité des patients atteints de cancer présenteront des douleurs au cours de leur maladie : lors du diagnostic, de l’évolution, ou au stade terminal. Malgré le développement de nouvelles molécules et formes galéniques, certaines de ces douleurs demeurent particulièrement réfractaires au traitement médical bien conduit, et la prise en charge de la douleur de cancer reste encore trop souvent sous-optimale.
La neurochirurgie de la douleur a connu un premier essor dans la première moitié du XXe siècle grâce aux techniques d’interruption ; plus récemment les techniques de neuromodulation sont apparues, élargissant l’offre de soin. La variété des méthodes permet d’adapter la prise en charge à la topographie de la douleur, à la valence entre les composantes nociceptive et neuropathique, à l’état général du patient, et à son pronostic vital. Néanmoins, malgré leur grande efficacité, ces techniques restent très largement sous-utilisées, induisant une perte de chance en termes de qualité de vie et de survie pour le patient.
L’enjeu majeur réside dans la coordination des équipes de soin pour que cette prise en charge puisse être réalisée dans le bon timing : d’une part l’implication précoce du neurochirurgien, d’autre part la connaissance et la démystification de ces techniques par les équipes impliquées dans la prise en charge des patients, aussi bien au niveau oncologique et algologique que chirurgical.
La chirurgie de la douleur s’est développée parallèlement à la mise en évidence et à la meilleure compréhension de l’anatomie des voies afférentes nociceptives.
La tractotomie mésencéphalique consiste en l’interruption sélective des voies nociceptives représentées par le faisceau spino-thalamique à l’étage des colliculi supérieurs. A ce niveau, les voies nociceptives regroupent les fibres provenant des différents étages spinaux et aussi celles provenant du noyau spinal du nerf trijumeau (V) qui reçoit aussi les fibres des nerfs sensitifs buccaux-pharyngés (IX-X). Les fibres dans ce faisceau ont une organisation somatotopique, l’extrémité inférieure du corps est antéro-latérale et la partie supérieure crânienne est postéro-médiale. Ce faisant, cette lésion entraîne une anesthésie thermo-algique dans le territoire sous-lésionnel suivant la somatotopie des fibres concernées.
Les indications de choix de la tractotomie sont les douleurs unilatérales par excès de nociception (ou mixtes) de l’extrémité céphalique, voire cervicales, du thorax ou de la racine du membre supérieur, dans un contexte néoplasique, chez des patients présentant une espérance de vie relativement courte, inférieure à 12 - 18 mois (procédure palliative), en sachant que l’effet antalgique induit aurait tendance à s’estomper après ce délai.
Les contre-indications principales sont une espérance de vie très courte (qq jours), les troubles de la coagulation, l’hypertension intracrânienne - les métastases cérébrales et l’incapacité du patient à coopérer lors de la chirurgie.
La première section à ciel ouvert du faisceau spino-thalamique au niveau protubérantiel a été décrite par Dogliotti en 1938. Walker développa en 1942 un abord chirurgical plus direct plaçant la lésion au niveau du mésencéphale. L’objectif était alors de traiter des douleurs de la sphère craniofaciale ou cervicale non accessibles à la cordotomie. Quelques années plus tard, Spiegel et Wycis décrivirent un abord par voie stéréotaxique permettant une coagulation rétro-thalamique du faisceau, sous anesthésie locale, réduisant les risques liés à la voie chirurgicale et facilitant le contrôle peropératoire des complications. La stimulation directe peropératoire permet la localisation spécifique du faisceau spino-thalamique par rapport notamment au faisceau lemniscal. La technique actuellement utilisée est celle de Mazars.
L’intervention se déroule sous anesthésie locale afin de recueillir le ressenti du patient pendant le geste. Ce dernier doit être suffisamment participant pour guider le geste chirurgical lors de la stimulation per-opératoire.
Une légère sédation peut être associée pour faciliter l’installation au bloc opératoire. Le premier temps consiste à la mise en place du cadre de stéréotaxie et à la réalisation de l’IRM stéréotaxique. La position du faisceau spino-thalamique au niveau du mésencéphale est définie par des coordonnées statistiques basées sur des atlas anatomiques, par rapport au plan des commissures blanches antérieures et postérieures (1mm en avant de l’aqueduc, 4mm en arrière sous le bord inférieur de CP sur la tangente à l’aqueduc, 8mm de la ligne médiane latéralement).
Une fois la cible théorique déterminée, on réalise un trou de trépan en avant de la suture coronale. Une électrode est descendue à la cible sous contrôle scopique. La stimulation peropératoire (50Hz ; 2ms ; 2-3V) permet de confirmer la position de l’électrode au niveau du faisceau spino-thalamique en produisant une sensation de chaleur dans le territoire cible. Celle-ci permet également de s’assurer de l’absence de stimulation des structures environnantes : l’obtention de paresthésies témoigne d’une atteinte du faisceau lemniscal plus antérieur par une électrode trop antérieure, latérale et/ou trop profonde, la survenue de mouvements oculaires d’une activation des noyaux ou fibres oculomotrices par une électrode trop interne et/ou trop haute, une sensation de peur d’une stimulation de la substance grise péri-acqueducale trop en dedans, et un syndrome de Parinaud d’une atteinte des faisceaux latéraux de la commissure postérieure par une trajectoire trop latérale. Un nystagmus retractorius est « normal » et habituel. Enfin une thermocoagulation est réalisée (70-80°C ; 30-45s) et renouvelée jusqu’à obtention d’une thermo-analgésie dans le territoire désiré tout en vérifiant l’absence de survenue d’un effet indésirable.
Certains auteurs ont rapporté des procédures bilatérales mais celles-ci doivent être espacées de plusieurs semaines pour limiter le risque d’œdème post-opératoire, potentiellement létal dans cette topographie. Cette éventualité n’est donc pas recommandée.
L’efficacité du geste est immédiate. Les données de la littérature montrent un soulagement complet ou supérieur à 50% dans plus de 75% des cas. Les complications sont les dysesthésies (0-25%), les atteintes oculomotrices le plus souvent transitoires à type de diplopie (0-25%), un syndrome de Parinaud (0-6,3%). La mortalité péri-opératoire est faible (<1%) et le plus souvent liée à un hématome mésencéphalique. En postopératoire le sevrage morphinique peut se faire habituellement assez rapidement mais doit se faire en condition de surveillance étroite (phénomènes de surdosage relatif).
Bien que cette chirurgie soit très efficace, l’indication reste limitée aux douleurs cancéreuses unilatérales de la sphère ORL voire thoracique supérieur qui n’entreraient pas dans une indication de morphinothérapie intrathécale ou intraventriculaire (dont les indications sont à privilégier pour les douleurs diffuses bilatérales). Cette indication est en balance avec celles de la cordotomie cervicale qui est discutée pour les douleurs unilatérales siégeant sous l’extrémité céphalique. La Drezotomie peut être discutée pour des douleurs limitées au membre supérieur.
Références bibliographiques
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