3.1.3 Gestion de la rupture peropératoire d’un anévrysme intracranien.

Thomas Gaberel,M.D., Ph.D., CHU de Caen, novembre 2020

Questions

1. A propos du risque de rupture per opératoire d’un anévrisme intracranien, parmi les affirmations suivantes, la(les)quelle(s) est(sont) exacte(s) ?
A. Elle survient plus souvent pendant les chirurgies d’anévrismes non rompu.
B. Elle constitue un facteur de risque de mauvais pronostic.
C. Elle survient essentiellement lors de la réalisation du volet crânien.
D. Lorsqu’elle survient pendant la pose du clip définitif, elle est due à une mauvaise dissection du collet.
E. Les anévrismes de la communicante antérieure sont plus à risque de rupture per opératoire.

2. A propos de la prévention de la rupture d’anévrisme peropératoire, parmi les affirmations suivantes, la(les)quelle(s) est(sont) exacte(s) ?
A. Il faut essayer d’avoir le plus vite possible un contrôle du ou des troncs porteurs de l’anévrisme.
B. Il faut toujours réaliser une dissection circonférentielle du sac.
C. L’utilisation du clippage temporaire du ou des troncs porteurs peut être très utile.
D. Le clippage temporaire du ou des troncs porteurs peut largement dépasser 20 minutes
E. Il est recommandé d’utiliser autant que possible le clippage temporaire du sac.

3. A propos de la gestion de la rupture peropératoire, parmi les affirmations suivantes, la(les)quelle(s) est(sont) exacte(s) ?
A. Il faut immédiatement essayer de mettre un clip définitif sur le sac.
B. Si le saignement est minime, il faut réaliser l’hémostase en tamponnant le point de fuite.
C. Si le saignement est majeur, il faut placer une seconde canule d’aspiration sur le point de fuite.
D. Il faut placer un clip temporaire sur le ou les troncs porteurs, mais jamais pendant plus de 5 minutes.
E. En cas de dissection longue, il est possible de réaliser un clippage temporaire du sac si la situation est bien comprise.

Memento

1. Introduction
La rupture précoce d’un anévrysme intracranien (AI) lors d’une chirurgie anévrysmale est la complication la plus redoutée de cette chirurgie, en raison du risque hémorragique, même si ce risque est en fait faible, mais surtout du risque neurologique.
Vidéo : Physiopathologie de la rupture. L.Thines. JNE 2016
Cependant cette « épreuve » n’est finalement pas si insurmontable que ça, à condition d’avoir anticipé cette complication et de savoir procéder rationnellement, étape par étape.
La fréquence de ces ruptures est variable, allant de 15 à 20% dans les séries historiques [1,2,3] à 7.9% dans des séries plus modernes [4]. Cependant, la plupart de ces ruptures sont des saignements minimes, et la survenue de saignements majeurs est évaluée à 4.3% [4].
Ces ruptures surviennent [1] :

  • Dans 7% des cas lors de l’abord ;
  • Dans 48% des cas pendant la dissection du sac, survenant dans ¾ des cas lors d’une dissection non tranchante (Spatule, bipolaire, écartement) et dans ¼ des cas lors d’une dissection tranchante (microciseaux) ;
  • Dans 45% des cas pendant le clippage, survenant dans 65% des cas à la suite d’une dissection incomplète du collet, et dans 35% des cas du à une mauvaise technique de pose du clip.
    La survenue d’une rupture per opératoire est un facteur de risque de mauvais pronostic, avec un risque de mauvais devenir neurologique dans 30 à 35% des cas [1,2,5].

2. Facteurs de risque de survenue
La connaissance des FDR de survenue permet d’anticiper ces ruptures, et donc de mettre en place des stratégies adaptées. Ces FDR sont [1,4,5,6,7] :

  • Le caractère rompu de l’anévrisme : la rupture survient dans 10.7% des cas d’anévrismes rompu versus 1.2% pour les non rompus.
  • La non utilisation de clip temporaire : 8.6% sans clip temporaire, versus 3.1% avec.
  • La topographie de l’anévrysme : les anévrysmes carotidiens naissant de la communicante postérieure, les anévrysmes de la communicante antérieure et les anévrysmes de la PICA sont plus à risque de rupture.
  • Pour les anévrysmes de l’artère cérébrale moyenne, les plus souvent clippés, les FDR sont la proximité immédiate du sac avec la dure-mère de la petite aile, et un segment M1 court.
  • L’expérience du chirurgien.

3. L’idéal : l’éviter !!!
La survenue d’une rupture peropératoire va complétement changer le déroulement d’une chirurgie anévrysmale, en limitant les possibilités de clipping et donc en augmentant le risque d’exclusion incomplète du sac ou d’ischémie procédurale. L’idéal est donc de l’éviter, et pour cela plusieurs techniques sont à notre disposition :

  • Etablir un planning préopératoire parfait, en anticipant notamment la position et la direction du sac, la position du collet et des branches.
  • Avoir un contrôle le plus précoce possible du ou des troncs porteurs, pour pouvoir placer un ou des clips temporaires si besoin.
  • Ne disséquer si possible que le collet, pas le sac (« on ne caresse pas la tete de quelqu’un qu’on veut décapiter »).
  • Réaliser une dissection douce, bien hydrater le sac.
  • Ne pas hésiter à utiliser un clippage temporaire (Vidéo 1). Le clippage temporaire est une technique sure, avec un risque extrêmement faible d’ischémie cérébrale [8]. Il doit être réalisé lorsque des techniques de dissection classique du sac, ou de clippage du sac ne peuvent pas être utilisées. Ce clippage temporaire doit être réalisé sous normotension et normovolémie. Il faut utiliser le plus petit clip possible pour limiter l’encombrement du champ. Un seul clip temporaire peut suffire, par exemple pour les branches terminales (ACM), mais pour d’autres anévrysmes, plusieurs peuvent être nécessaires en raison du polygone (Carotide, Communicante antérieure). Le clip temporaire est un clip dont la force de serrage est moins importante qu’un clip définitif, pour éviter les lésions endothéliales. Ils sont généralement d’une couleur différente (par exemple doré). Il ne faut les placer que quand un maximum du geste a été réalisé sans clippage temporaire. Enfin le temps de ce clippage temporaire doit absolument être contrôlé : il faut demander le déclenchement d’un chronomètre, et même si ces durées font débat, il faut dans l’idéal que ce clippage temporaire ne dépasse pas 15 à 20 minutes. Si le clippage temporaire doit durer plus longtemps, il faut réaliser des phases de recirculation pendant 10 à 15 minutes si cela est possible.
    Vidéo 1 : Gestion de la rupture peropératoire d’un anévrysme intracranien.
  • Ne clipper que quand on a bien compris et disséqué le collet « a clip prématurée, rupture prématurée ».
  • Il est possible de demander à l’équipe d’anesthésie une PAM basse (50mmHg) pendant les temps à risque, même si cette mesure est discutable.

4. En cas de rupture
Il convient avant tout de rester calme, pour prendre des mesures réfléchies :

  • Ne pas essayer de mettre un clip définitif « à l’arrache » sans comprendre. Cela génère en général des déchirures plus importantes du sac et peut aboutir à des situations incontrôlables.
  • Identifier le point de fuite : rincer au sérum, utiliser la deuxième aspiration.
  • Si le saignement est peu important (Vidéo 2) : réaliser une hémostase par tamponnement, en plaçant une compresse de cellulose oxydée recouverte d’un coton, tenu en place par la canule d’aspiration. Cette technique va contrôler le saignement dans la plupart des cas en 5 minutes.
    Vidéo 2 : Gestion de la rupture peropératoire d’un anévrysme intracranien.
  • Si le saignement est plus important (Vidéo 3) : il faut essayer d’avoir un champ le moins sanglant possible pour poursuivre la dissection. Il faut mettre la seconde aspiration, tenue par l’aide, sur le point de fuite, voir carrément aspirer totalement le sac en cas de petit sac avec une rupture majeure. Il faut ensuite mettre un clip temporaire et reprendre la dissection. Plus rarement, il peut être possible de réaliser un clippage temporaire du sac, c’est-à-dire d’exclure le point de fuite sans exclure totalement le sac. Cependant cette technique ne doit être réalisé que si le sac est grand, que la situation est bien comprise et que ce clip temporaire ne gêne pas la pose du clip final.
    Vidéo 3 : Gestion de la rupture peropératoire d’un anévrysme intracranien.
  • Une fois que le saignement est contrôlé, ne pas hésiter à se laisser quelques minutes pour souffler, diminuer son stress et réfléchir à la stratégie à adopter.
  • Si dissection longue (>15 minutes) : retirer périodiquement le clip temporaire, éventuellement en réalisant un clippage temporaire du sac.
  • Jusqu’au clippage final.
  • L’hypotension artérielle ne semble pas utile.

5. Conclusion
La rupture peropératoire est une complication relativement fréquente. Il faut avant tout garder son calme, et connaitre toutes les techniques à la disposition du chirurgien si cette rupture survient, pour prendre des mesures adaptés et réfléchies. L’usage du clippage temporaire est notamment très utile pour prévenir ou contrôler ces ruptures.

Points forts

  • Ne pas paniquer
  • Ne pas mettre de clip définitif sur le sac si la dissection n’est pas suffisante
  • Le tamponnement du point de fuite suffit en général
  • Sinon utiliser le clippage temporaire du ou des troncs porteurs
  • Ne réaliser le clippage définitif que quand l’anatomie du collet est parfaitement comprise

Points faibles et incertitudes

  • L’expérience du chirurgien est essentielle dans la prévention et la gestion de ces ruptures, ce qui malheureusement ne peut pas s’apprendre dans les livres.

Réponses aux questions

1 BDE, 2 AC, 3 BCE,

Références annotées

1. Batjer H, Samson D. Intraoperative aneurysmal rupture : incidence, outcome, and suggestions for surgical management. Neurosurgery. 1986 ; 18 : 701-7. doi : 10.1227/00006123-198606000-00004.
La référence historique sur le risque de rupture d’anévrisme en per opératoire. La rupture survient dans 19% des cas, avec une description des phases à risque. Il y est également démontré que la survenue d’une rupture est un facteur de risque de mauvais pronostic.

2. Castel JP, Frerebeau P, Lagarrigue J et al. [Neurosurgical treatment of intracranial aneurysms]. Neurochirurgie. 1994 ; 40 : 31-66.
La référence pour ce qui est de la technique de clippage des anévrismes intracraniens. Tout y est ! Et la gestion de la rupture per-opératoire y est décrite de façon excellente.

3. Leipzig TJ, Morgan J, Horner TG et al. Analysis of intraoperative rupture in the surgical treatment of 1694 saccular aneurysms. Neurosurgery. 2005 ; 56 : 455-68. doi : 10.1227/01.neu.0000154697.75300.c2.
Une cohorte moderne évaluant la fréquence des ruptures peropératoire. La fréquence y est plus basse que dans les cohortes historiques (7.9%), et il s’agit le plus souvent de saignement minime. Il y est également démontré l’utilité du clippage temporaire pour prévenir ces ruptures.

Références bibliographiques

1-Batjer H, Samson D. Intraoperative aneurysmal rupture : incidence, outcome, and suggestions for surgical management. Neurosurgery. 1986 ; 18 : 701-7. doi : 10.1227/00006123-198606000-00004.
2-Elijovich L, Higashida RT, Lawton MT et al. Cerebral Aneurysm Rerupture After Treatment (CARAT) Investigators Predictors and outcomes of intraprocedural rupture in patients treated for ruptured intracranial aneurysms : the CARAT study Stroke. 2008 May ;39:1501-6.doi : 10.1161/STROKEAHA.107.504670. Epub 2008 Mar 6.
3-Giannotta SL, Oppenheimer JH, Levy ML et al. Management of intraoperative rupture of aneurysm without hypotension. Neurosurgery. 1991 ; 28 : 531-5. doi : 10.1097/00006123-199104000-00008.
4-Leipzig TJ, Morgan J, Horner TG et al. Analysis of intraoperative rupture in the surgical treatment of 1694 saccular aneurysms. Neurosurgery. 2005 ; 56 : 455-68. doi : 10.1227/01.neu.0000154697.75300.c2.
5-Castel JP, Frerebeau P, Lagarrigue J, Moreau JJ. [Neurosurgical treatment of intracranial aneurysms]. Neurochirurgie. 1994 ; 40 : 31-66.
6-Park J, Son W, Park KS et al. Intraoperative premature rupture of middle cerebral artery aneurysms : risk factors and sphenoid ridge proximation sign. J Neurosurg. 2016 ; 125:1235-1241. doi : 10.3171/2015.10.JNS151586. Epub 2016 Feb 5.
7-Hsu CE, Lin TK, Lee MH et al. The Impact of Surgical Experience on Major Intraoperative Aneurysm Rupture and Their Consequences on Outcome : A Multivariate Analysis of 538 Microsurgical Clipping Cases. PLoS One. 2016 22 ; 11(3):e0151805. doi : 10.1371/journal.pone.0151805. eCollection 2016.
8-Charbel FT, Ausman JI, Diaz FG et al. Temporary clipping in aneurysm surgery : technique and results. Surg Neurol. 1991 ; 36:83-90. doi : 10.1016/0090-3019(91)90223-v.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?