#13. Tumeurs de l’orbite

Fabien RECH, M.D., Thierry CIVIT, M.D., Ph.D., CHU Nancy, mars 2022.

QCM

1/ Concernant les tumeurs de l’orbite
A. les lymphomes sont les tumeurs les plus fréquentes
B. les méningiomes sphéno-orbitaires sont rares
C. il existe des pathologies pseudo-tumorales
D. les hémangiomes caverneux peuvent être intraconiques

2/ Concernant la clinique
A.l a paralysie oculo-motrice est le symptôme le plus fréquent
B. l’exophtalmie est rare
C. une contracture musculaire douloureuse oriente vers une lésion inflammatoire
D. une atteinte du trijumeau oriente vers un méningiome sphéno-orbitaire
E. la baisse d’acuité visuelle est fréquente

3/ D’un point de vue radiologique
A. les méningiomes sphéno-orbitaires présentent une hyperostose
B. les hémangiomes caverneux sont bien délimités en IRM
C. les schwannomes peuvent être kystiques
D. les lymphomes sont des tumeurs focales
E. les méningiomes de la gaine du nerf optique élargissent le nerf

4/ Concernant les prises en charge
A. l’exérèse complète des méningiomes sphéno-orbitaires est indispensable
B. les méningiomes de la gaine du nerf optique doivent être retirés chirurgicalement
C. les hémangiomes caverneux peuvent être retirés de façon complète
D. la morbidité chirurgicale des méningiomes sphéno-orbitaires est faible
E. les pseudotumeurs inflammatoires doivent être retirées chirurgicalement

5/ Concernant les voies d’abord chirurgicales

A. la voie ptérionale est la voie la plus classique pour accéder à l’orbite
B. la voie sous-frontale extra-durale permet un accès la partie supérieure de l’orbite
C. le nerf frontal sert de repère pour la voie intraconique supérieure
D. le nerf abducens est à risque lors de l’incision de la périorbite apicale
E. la voie intraconique latérale inférieure est à risque de syndrome de Claude Bernard Horner

1. Epidémiologie et classification

Les entités anatomopathologiques tumorales ou pseudo-tumorales sont nombreuses car ces lésions peuvent dériver de toutes les composantes tissulaires de l’orbite (méninges, nerfs, os, muscle, glandes lacrymales, cavités ORL, vaisseaux…). Leur incidence est difficile à évaluer car elle dépend de l’origine (ophtalmologique ou neurochirurgicale) de la série étudiée.

En neurochirurgie, elles sont surtout représentées par les méningiomes sphéno-orbitaires (jusqu’à 40 % dans certaines séries) suivies des tumeurs d’origines sinusiennes étendues à l’orbite (malignes en générale), des méningiomes de la gaine du nerf optique, des angiomes caverneux et des schwannomes.

Deux diagnostics différentiels sont importants à connaitre, les tumeurs hématopoïétiques (essentiellement des lymphomes) et les inflammations orbitaires subaiguës ou chroniques (aussi nommées pseudotumeurs inflammatoires), tous deux non chirurgicaux.

2. Clinique

La présentation clinique est essentiellement oculaire : l’exophtalmie est le symptôme le plus fréquent, suivie par la baisse d’acuité visuelle ou les anomalies du champ visuel, les douleurs orbitaires, paralysies oculo-motrices. L’atteinte du nerf trijumeau est plus rare (méningiome sphéno-orbitaire). La présence de signes neurologiques oriente vers une lésion extensive intracrânienne le plus souvent en faveur d’un méningiome sphéno-orbitaire avec une extension intracrânienne.

Le mode d’installation des symptômes peut également orienter. Une exophtalmie ou baisse d’acuité visuelle, progressives, non douloureuses, orientent vers une pathologie à développement lent et donc bénigne contrairement à une installation rapide des symptômes qui oriente plutôt vers une lésion inflammatoire, infectieuse ou tumorale maligne.

Les pseudotumeurs inflammatoires ont souvent des manifestations bruyantes avec une exophtalmie douloureuse, un ptosis, une baisse d’acuité visuelle. Peuvent s’y associer un œdème palpébral, chémosis, diplopie et contracture musculaire douloureuse liées à une myosite.

3. Bilan para clinique

Il repose sur un bilan ophtalmologique complet (acuité visuelle, champ visuel et fond d’œil) ainsi que sur l’imagerie.

Le scanner cérébral permet d’évaluer l’atteinte osseuse tandis que l’IRM permet d’émettre des hypothèses diagnostiques et de mieux visualiser les rapports anatomiques de la tumeur. Cet aspect est essentiel à la fois pour le diagnostic mais aussi dans la planification de la voie d’abord compte tenu de l’important déplacement des structures intraconiques.

Les méningiomes sphéno-orbitaires présentent une « hyperostose ». Il s’agit en réalité dans la quasi-totalité des cas d’un envahissement tumoral, et très rarement d’une hyperostose réactionnelle bien visible au scanner. Elle peut toucher les petites et grandes ailes du sphénoïde, le toit et la paroi externe de l’orbite. L’IRM permet de visualiser l’envahissement dural, souvent en plaque, parfois intraorbitaire, au niveau du sinus caverneux ou de la fissure orbitaire supérieure.

Les méningiomes de la gaine du nerf optique sont centrés sur le nerf optique, avec un nerf optique semblant diminué de diamètre au sein de la tumeur contrairement aux gliomes du nerf optique où le nerf semble élargi, sans pouvoir le distinguer de la tumeur.

Les hémangiomes caverneux ont un aspect bien limité, arrondi, homogène, souvent isoT1 et hyperT2 par rapport aux muscles avec des prises de contrastes souvent irrégulières. Il peut être difficile de les distinguer des schwannomes, eux aussi bien limités. L’aspect des schwannomes peut être plus hétérogène, avec des prises de contrastes plus larges et sont souvent kystiques. Par ailleurs la présence d’une hypoesthésie dans le territoire du nerf sus-orbitaire est un élément assez caractéristique du schwannome.

Les pseudotumeurs inflammatoires sont caractérisées par un processus homogène effaçant la graisse, parfois diffus, pouvant être étendu aux muscles, épaissis dans le cadre d’une myosite. Dans la forme rétrobulbaire des lymphomes (les formes antérieures étant vues par les ophtalmologues), la graisse rétrobulbaire est effacée par le processus tumoral, de façon diffuse et mal limitée. En IRM, l’aspect est plutôt iso-intense en séquence T1. Le diagnostic différentiel avec les pseudotumeurs inflammatoires peut être difficile (du fait du caractère rapidement évolutif de la symptomatologie clinique et de l’imagerie).

4. Principes de prise en charge

La stratégie repose sur les hypothèses diagnostiques ainsi que sur la topographie et l’agressivité supposée de la lésion.

Les méningiomes sphéno-orbitaires sont traités chirurgicalement. Par voie front-temporo-ptérionale extradurale, l’hyperostose est fraisée pour décomprimer le cône et le nerf optique, la résection du méningiome inclut celle du périoste extracrânien, celle de l’os envahi, celle de la dure mère envahie, celle de la périorbite envahie et celle d’une éventuelle masse méningiomateuse intraorbitaire. Le toit et la partie latérale de l’orbite sont d’abord libérés d’avant en arrière jusqu’à ouvrir la fissure orbitaire supérieure. L’ouverture du toit du canal optique et la clinoidectomie peuvent être réalisés en cas d’envahissement osseux et de compression du nerf optique. La fissure orbitaire supérieure et le sinus caverneux ne sont pas ouverts en cas d’envahissement tumoral. Une cranioplastie est réalisée en fin d’intervention pour compenser le défect osseux. Le taux de complications de cette chirurgie peut s’élever à plus de 20% avec une baisse d’acuité visuelle voire amaurose, atteinte oculomotrice, hypoesthésie ou névralgie trigéminale tandis que les exérèses sont le plus souvent incomplètes. Pour l’exophtalmie, une amélioration post opératoire est possible si l’exophtalmie était due à un envahissement par une masse tumorale intraorbitaire extirpable, mais si elle était due à une obstruction du drainage veineux orbitaire (fissure orbitaire supérieure et sinus caverneux envahis), elle persistera inéluctablement. Toutefois la progression du résidu n’est pas systématique. Cette dernière peut justifier soit d’une réintervention, notamment en cas de risque visuel, soit d’une radiothérapie.

Les méningiomes de la gaine du nerf optique sont traités par radiothérapie stéréotaxique fractionnée permettant d’obtenir un bon contrôle tumoral et une stabilisation voire dans certains cas une amélioration de l’acuité visuelle. La neuropathie optique postradique reste le principal risque.

L’objectif du traitement des hémangiomes caverneux et des schwannomes est l’exérèse chirurgicale complète dont la voie d’abord dépend de la localisation tumorale.

Pour les tumeurs de la glande lacrymale, il s’agit dans plus de 50% des cas de lésions malignes qu’il faut éviter de morceler ou de biopsier (essaimage), et qu’il est préférable d’extirper en masse et en totalité.

En cas de suspicion de pseudotumeurs inflammatoire ou de tumeurs hématopoïétiques, le diagnostic sera obtenu par la réalisation d’une biopsie suivi d’un traitement médical. Les pseudotumeurs sont traitées par corticothérapie, immunosuppresseurs voire radiothérapie. Les tumeurs hématopoïétiques seront traitées par chimiothérapie et radiothérapie éventuellement.

5. Voies d’abord chirurgicales

Les voies neurochirurgicales sont développées pour accéder aux deux tiers postérieurs de l’orbite. On distingue les voies d’abord du cadre osseux permettant un accès au contenu orbitaire et les voies intraconiques succédant à l’abord osseux.

On identifie principalement 3 voies d’abord du cadre osseux : les voies supérieures, latérales et mixtes supéro-latérales.

Les voies supérieures ont pour objectif d’accéder à la partie supérieure du cône en réclinant le lobe frontal. Elle se décomposent en 3 voies :

  • La voie sous-frontale extradurale sans dépose de l’arcade est la plus classique. L’approche est antéro-postérieure de sorte que l’apex et le nerf optique sont plus difficiles à identifier car abordés tardivement. Par ailleurs, bien qu’extradurale, la rétraction cérébrale est nécessaire sans possibilité de vidanger du LCS, faisant courir un risque de contusions parenchymateuses.
  • La voie sous-frontale extradurale avec dépose de l’arcade, plus invasive, nécessite une reconstruction et une ouverture obligatoire du sinus frontal. La craniotomie monobloc est difficile mais l’exposition est maximale et la rétraction du lobe frontal minimale.
  • La voie sous-frontale intradurale, potentiellement plus délétère pour le lobe frontal, offre la possibilité d’identifier le nerf optique immédiatement, de vidanger du LCS puis d’ouvrir secondairement la dure-mère du toit de l’orbite pour poursuivre la chirurgie.

Dans tous les cas, le toit de l’orbite est ouvert par fraisage puis la périorbite incisée le long du nerf frontal. Ce dernier, extraconique, peut être identifié aisément et donne l’axe des muscles oculo-moteurs. Au niveau de l’apex, le nerf trochléaire, extraconique, passe au-dessus et en dedans du nerf frontal et risque donc d’être incisé en même temps que la périorbite.

Les voies latérales avec dépose du rebord latéral orbitaire. L’incision peut être bitragale ou antérolatérale (incision au-dessus de l’arcade zygomatique et en arrière du canthus externe). Après section du muscle orbiculaire, décollement de la partie antérieure du muscle temporal et de la périorbite en dedans, le volet orbitaire est réalisé à la scie oscillante. Une fois la périorbite incisée, le muscle droit latéral ainsi que le nerf et l’artère lacrymaux sont exposés. L’abord se fait au-dessus ou en dessous de ce muscle.

Les voies supéraolatérales sont représentées par :

  • la craniotomie supérolatérale par voie ptérionale qui permet d’accéder à la fissure orbitaire supérieure, au canal optique. La dépose orbitozygomatique peut permettre un abord latéral mais l’orbitotomie supérolatérale ou la voie latérale devraient être préférées si l’objectif est d’aborder le cône par voie latérale. L’abord interne du cône est également rendu plus délicat.
  • l’orbitotomie supérolatérale permet une meilleure exposition à la partie supérieure en épargnant une craniotomie. Cette voie est idéale pour les abords de la glande lacrymale. Peu invasive, elle permet une exérèse tumorale complète et en masse.

Les voies intraconiques sont séparées en voie supérieures et latérales. La difficulté de ces voies relève de la gestion de la graisse périorbitaire. Les voies supérieures se répartissent en :

  • voie médiale ou interne consistant à passer entre le complexe formé par les muscles droit supérieur et le releveur de la paupière et le complexe formé par les muscles oblique supérieur et le droit interne. L’identification du nerf frontal permet de repérer le muscle droit supérieur.
  • voie latérale consistant à passer entre le complexe formé par les muscles droit supérieur et releveur de la paupière et le muscle droit latéral. Vers l’apex, cette voie devient dangereuse pour le nerf oculomoteur et le nerf abducens.

Les voies intraconiques latérales consistent à passer au-dessus ou en dessous du muscle droit latéral par voie latérale du cadre osseux. La position du ganglion ciliaire à la partie inférieure faire courir le risque d’un syndrome de Claude-Bernard-Horner tandis que vers l’apex existe un risque d’atteinte du nerf oculomoteur.

Points forts :

  • Méningiomes sphéno-orbitaires très représentés
  • Exérèse des méningiomes sphéno-orbitaires souvent incomplète mais progression non systématique du résidu
  • Existence d’entités non chirurgicales voire non tumorales : biopsie
  • Caractère curable de certaines tumeurs : schwannome, hémangiome caverneux

Points faibles

  • Nombreux types histologiques différents
  • Morbidité chirurgicale
  • Difficulté chirurgicale liée à la graisse périorbitaire, l’effet de masse lié à la tumeur.

Références annotées :

Civit T, Froelich S, Joud A, Perez M, Mercier P. Anatomie descriptive de l’orbite. Neurochirurgie. avr 2010 ;56(2 3):81 8.
Civit T, Cophignon J. Les voies d’abord neurochirurgicales de l’orbite. Neurochirurgie. avr 2010 ;56(2 3):218 29.
Deux article détaillés à lire conjointement et qui présentent les rapports osseux ainsi que l’anatomie intraconique sous différente angles permettant de mieux appréhender les voies d’abord du cadre osseux (supérieure/latérale, sous-frontale/ptérionale) ainsi que les voies intraconiques (supérieures/latérales) et les éléments susceptibles de s’interposer dans le corridor chirurgical.
Rapport de la Société Française de Neurochirurgie de 2010 : Neurochirurgie 56 (2010) 81–88
Ce rapport, dont ce mémento tente de faire une synthèse pertinente, résume à la fois l’activité française en matière de tumeur orbitaire, les différentes entités pathologiques au-delà de celles présentées dans ce mémento, les détails épidémiologiques, radiologiques et thérapeutiques de chaque entité.

Réponses QCM :

1/Concernant les tumeurs de l’orbite
A. les lymphomes sont les tumeurs les plus fréquentes
B.l es méningiomes sphéno-orbitaires sont rares
C. il existe des pathologies pseudo-tumorales
D. les hémangiomes caverneux peuvent être intraconiques

2/Concernant la clinique
A. la paralysie oculo-motrice est le symptôme le plus fréquent
B. l’exophtalmie est rare
C. une contracture musculaire douloureuse oriente vers une lésion inflammatoire
D. une atteinte du trijumeau oriente vers un méningiome sphéno-orbitaire
E. la baisse d’acuité visuelle est fréquente

3/ D’un point de vue radiologique
A. les méningiomes sphéno-orbitaires présentent une hyperostose
B. les hémangiomes caverneux sont bien délimités en IRM
C. les schwannomes peuvent être kystiques
D. les lymphomes sont des tumeurs focales
E. les méningiomes de la gaine du nerf optique élargissent le nerf

4/ Concernant les prises en charge
A. l’exérèse complète des méningiomes sphéno-orbitaires est indispensable
B. les méningiomes de la gaine du nerf optique doivent être retirés chirurgicalement
C. les hémangiomes caverneux peuvent être retirés de façon complète
D.l a morbidité chirurgicale des méningiomes sphéno-orbitaires est faible
E. les pseudotumeurs inflammatoires doivent être retirées chirurgicalement

5/ Concernant les voies d’abord chirurgicales
A. la voie ptérionale est la voie la plus classique pour accéder à l’orbite
B. la voie sous-frontale extra-durale permet un accès la partie supérieure de l’orbite
C. le nerf frontal sert de repère pour la voie intraconique supérieure
D. le nerf abducens est à risque lors de l’incision de la périorbite apicale
E. la voie intraconique latérale inférieure est à risque de syndrome de Claude Bernard Horner

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