2.4.1 Physiopathologie de l’ischémie cérébrale.

François-Mathias Merrien, M.D., neurologie, CHRU Brest, janvier 2021

QCM

1. Lors d’une occlusion de grosse artère, chaque minute sont détruits :
a) 1 mètre de nerf périphérique
b) 5 cm² de méninges
c) 2 millions de neurones
d) 14 milliards de synapses
e) 12 km de fibres myélinisées

2. L’ischémie cérébrale est le plus souvent due :

a) à un thrombus d’origine cardiaque
b) à un thrombus d’origine artérielle
c) à un dysfonctionnement du métabolisme énergétique
d) à une microangiopathie des artères intracérébrales
e) à un vasospasme artériel cervical.

3. La pénombre :
a) se manifeste par un déficit neurologie toujours minime
b) est en rapport avec un dysfonctionnement neuronal dans la zone ischémiée
c) est responsable d’une atteinte réversible en cas de recanalisation rapide
d) peut durer plus ou moins longtemps pour un même territoire d’un patient à l’autre
e) peut être caractérisée en routine par des techniques d’imagerie de perfusion

4. Dans l’infarctus cérébral :
a) on rencontre des phénomènes de nécrose et d’apoptose
b) les destructions parenchymateuses importantes sont responsables de déficits en grande partie irréversibles
c) l’œdème cérébrale résultant même de petites lésions peut engager le pronostic vital par effet de masse
d) une recanalisation tardive peut être intéressante dans certaines situations
e) la séquence de diffusion en IRM reflète la pénombre.

Memento didactique

L’ischémie cérébrale est responsable de l’accident vasculaire cérébral ischémique. Cette pathologie fréquente (155000 nouveaux cas par an en France) (1) et grave (1ère cause de handicap chez l’adulte, 2ème cause de démence et une des 1ères causes de mortalité), a bénéficié ces dernières années de grands progrès dans sa prise en charge, améliorant spectaculairement son pronostic.
Vidéo : Prise en charge des infarctus cérébraux : ce que le neurochirurgien doit savoir. - Tae-Hee Cho, 2016.

Causes de l’ischémie
Il y a dans le cerveau, un ajustement permanent du débit sanguin cérébral (DSC) à la demande énergétique du parenchyme. C’est l’unité neurovasculaire, la triade endothélium-glie-neurone, qui en assure la régulation. Une inadéquation entre les apports et les besoins est le plus souvent due à une occlusion artérielle par un thrombus d’origine cardiaque (arythmie emboligène, valvulopathie, akinésie d’origine ischémique, …) ou artérielle (athérome des artères à destinée cérébrales), ou une microangiopathie liée aux facteurs de risque vasculaire (mécanisme dit « lacunaire », concernant les petites artères perforantes des noyaux gris centraux, de la couronne radiante et du pont). D’autres angiopathies sont possibles (dissection artérielle cervicale ou intracrânienne, plus rarement causes génétiques, vascularite, …). Ces différentes causes sont utilisées dans les classifications usuelles des AVC, TOAST et ASCOD (2, 3). On peut plus rarement rencontrer une ischémie dans le cas de bas débit généralisé (choc ou arrêt cardiorespiratoire)(4), de dysrégulation de la vasomotricité cérébrale (Encéphalopathie cérébrale réversible, et apparentés comme l’éclampsie) (5), ou de dysfonctionnement de la machinerie intracellulaire devant assurer les besoins énergétiques du parenchyme cérébral (cytopathie mitochondriales comme le MELAS, toxiques comme le monoxyde de carbone, …) (6, 7).

Pénombre ischémique
Le parenchyme cérébral a un métabolisme énergétique principalement aérobie et ne dispose pas de réserve de glucose, le rendant particulièrement sensible à une baisse du DSC. Le déficit énergétique ne permet plus aux neurones d’assurer leur fonction d’échange d’information. En effet, celle-ci nécessite la création de potentiels d’action par ouverture de canaux ioniques membranaires se transmettant de proche en proche sur l’axone, avec une dépolarisation de la membrane par modification rapide des équilibres ioniques de sodium et potassium de part et d’autre de cette membrane. Or, pour décharger à nouveau, il faut repolariser la membrane grâce aux pompes sodium/potassium membranaires qui requièrent de l’énergie. L’impossibilité de reconstituer ce potentiel de repos interdit de nouvelles décharges de potentiel d’action. Cela a pour conséquence une dysfonction des différentes structures sous-tendues par les neurones concernés et se manifeste le plus souvent par un déficit neurologique soudain, comme un déficit moteur, sensitif, visuel, une aphasie, une héminégligence ou des signes du tronc cérébral en fonction du territoire concerné. Plus rarement, des signes positifs peuvent être observés (limb shaking, crise épileptique inaugurale, …).
Ce dysfonctionnement potentiellement réversible en cas de levée de l’occlusion est appelé pénombre. Si le DSC est rapidement rétabli (quelques minutes voire heures), le déficit régresse sans séquelle. C’est ce qui se produit soit lors d’un accident ischémique transitoire, par lyse spontanée rapide du thrombus, ou par ouverture de collatéralité, soit par recanalisation médicale, médicamenteuse (thrombolyse intraveineuse) ou mécanique (stent retriver ou aspiration).

Infarctus constitué
Si la durée d’ischémie se prolonge, des phénomènes destructifs irréversibles vont survenir. La dépolarisation de la zone d’ischémie provoque la libération de neuromédiateurs, notamment excitateurs de type glutamate, favorise l’entrée de calcium intracellulaire qui provoque des défaillances mitochondriales, et d’autres organites. Des radicaux libres cytotoxiques sont produits en grande quantité et ne sont plus éliminés. Des destructions cellulaires par nécrose ont donc lieu, mais également par apoptose activée notamment dans la zone de pénombre du fait des dysfonctionnements énergétiques. Des phénomènes inflammatoires sont majorés par la présence des débris cellulaires et aggravent les lésions tissulaires (8). L’endothélium est également altéré, aboutissant à une rupture de la barrière hématoencéphalique. Il peut y avoir également des remaniements hémorragiques (9). Ceux-ci sont favorisés par la présence d’antithrombotiques, notamment les anticoagulants, mais aussi les thrombolytiques. L’infarctus se constitue ainsi en quelques heures pour atteindre sa taille finale. Ce délai est critique car c’est de cette fenêtre temporelle que l’on profite pour faire bénéficier aux patients d’une recanalisation pharmacologique (thrombolyse) ou mécanique (thrombectomie) et ainsi réduire les séquelles fonctionnelles.
A terme, lorsque l’infarctus a recouvert la zone de pénombre, une recanalisation est futile voire peut provoquer des remaniements hémorragiques ou un syndrome de reperfusion (œdème cérébral avec perfusion de luxe). Il faut donc saisir la fenêtre temporelle de la pénombre. Comme le formulent les anglo-saxons dans leur aphorisme : « time is brain ».
Une lésion de petit volume entraîne essentiellement un déficit neurologique en rapport avec la zone ischémiée. En revanche, dans les lésions volumineuses, un œdème va se développer parallèlement à la taille de la lésion. Cela est particulièrement problématique si l’effet de masse s’exerce sur des structures engageant le pronostic vital. C’est le cas du cervelet qui peut comprimer le 4ème ventricule (Hydrocéphalie), l’artère basilaire (infarctus du tronc cérébral) ou le tronc cérébral lui-même. C’est aussi le cas de l’AVC sylvien malin qui peut retentir sur le tronc cérébral. Dans ces situations, une craniectomie décompressive améliore largement le pronostic vital sans malheureusement améliorer le pronostic fonctionnel pour les sylviens (10). Celui des AVC cérébelleux est en général bon.

Progresseurs lents et rapides
Si les délais classiques d’intérêt de recanalisation médicale et mécanique sont respectivement de 4h30 (11) et 6h (12), la durée que met le volume de l’infarctus pour recouvrir la zone de pénombre peut varier d’un patient à l’autre. On parle de progresseurs lents et rapides. Plusieurs facteurs interviennent dans cette variabilité. Il s’agit d’une part de la résistance tissulaire à l’ischémie. Ils sont incomplètement connus, mais les sujets jeunes peuvent parfois bénéficier plus tardivement d’une recanalisation. Le deuxième point est le niveau de l’occlusion artérielle. Si l’artère concernée vascularise un volume cérébral important, les lésions sont plus rapidement importantes. Enfin, une cause importante de cette variabilité est la collatéralité (13). Il s’agit des différentes sources de flux sanguin pour une même zone de parenchyme cérébral. Elles peuvent concerner le polygone de Willis qui peut être complet ou non, mais aussi des branches terminales, piales des artères cérébrales, ou bien provenir de la circulation carotidienne externe. Ces variations sont anatomiques, congénitales, mais peuvent être fonctionnelles et s’installer progressivement chez des patients porteurs de sténoses artérielles en amont, acquises(14). Un objectif de la recherche neuro-vasculaire concerne la neuroprotection qui permettrait d’élargir la fenêtre temporelle de la recanalisation, mais à ce jour aucun travail n’a pu être transposé en pratique courante.

Imagerie et ischémie cérébrale
L’infarctus peut être défini précocement par des hypersignaux en séquence de diffusion en IRM, par un débit sanguin cérébral effondré en perfusion (IRM ou scanner), après 4-6h par la séquence FLAIR également en IRM et après 24h par une hyperdensité au scanner. La pénombre peut être définie par des paramètres de perfusion en scanner ou IRM. Certains patients au-delà des délais de recanalisation standards peuvent quand même bénéficier d’une recanalisation, si l’on observe un mismatch infarctus-pénombre (petit infarctus, grosse pénombre), un mismatch clinico-radiologique (gros déficit / petit infarctus) ou encore FLAIR négatif (lésion récente) diffusion qui peuvent aussi être utilisés (15, 16).

Hypoxie diffuse prolongée
Cela est particulièrement vrai dans le cas caricatural que représente l’arrêt cardio-respiratoire, qui peut aboutir en quelques minutes seulement à la mort cérébrale avec nécrose et œdème diffus, arrêt de toute circulation cérébrale malgré une reprise d’une activité cardiaque. Dans une moindre mesure, des séquelles lourdes de type coma post-anoxique peuvent être rencontrées.

Conclusion
La physiopathologie de l’ischémie cérébrale conditionne la prise en charge de l’AVC ischémique. Une recanalisation précoce améliore le pronostic vital et fonctionnel car la pénombre responsable des symptômes initiaux est réversible, alors que l’infarctus responsable des séquelles se développe progressivement en quelques heures jusqu’à recouvrir la pénombre initiale.

Points Forts

  • Pénombre : zone cérébrale ischémiée responsable du déficit initial, potentiellement réversible si l’ischémie est levée spontanément ou médicalement.
  • Infarctus : zone cérébrale ischémiée, responsable des séquelles, détruite de manière irréversible.
  • Cette physiopathologie est la base de la thérapeutique de recanalisation dans l’AVC ischémique.
  • Une recanalisation précoce avec une pénombre importante et infarctus minime améliore le pronostic fonctionnel et vital : le temps c’est du cerveau, « time is brain ».

Points faibles

  • Progresseurs rapides : malgré une recanalisation précoce, ce groupe de patients peut avoir une zone infarcie déjà importante
  • Pour l’instant, il n’existe pas de technique de neuroprotection susceptible d’augmenter la fenêtre temporelle entre le début de l’ischémie et la recanalisation.

Réponses aux QCM

1. c, d, e
2. a, b, d
3. b, c, d, e
4. a, b, d

Bibliographie commentée

2, 3 : classifications usuelles des AVC utilisées en routine. Le bilan permettant de classer les AVC ischémiques en cardioemboliques, maladies des grosses artères, microangiopathie, dissection (ASCOD), autre, indéterminé, plusieurs causes est détaillé.
8 : revue sur les mécanismes cellulaires de l’ischémie cérébrale.
11 : méta-analyse de plus de 6000 patients concernant le délai maximum classique de la thrombolyse. Les chances d’excellente évolution (rankin 0-1) à 3 mois sont plus élevées si le rtPA est administré avant 3h (OR 1.75 [1.35-2.7]) qu’entre 3h et 4h30 (OR 1.26 [1.05-1.51]). Il n’y a pas de bénéfice statistiquement significatif au-delà de 4h30 en l’absence de sélection par d’autres critères.
12 : méta-analyse de 1287 patients concernant la thrombectomie <6h. l’OR d’excellente évolution est 2.49 [1.76-3.53], correspondant à un à nombre de patient à traiter pour éviter un handicap de 2.6.
13 : revue systématique sur les techniques d’imageries avancées permettant de sélectionner des patients vus tardivement mais qui peuvent néanmoins bénéficier d’une recanalisation médicale. Elle illustre bien que le concept de pénombre à sauver peut varier d’un patient à l’autre.

Bibliographie

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2. Amarenco P, Bogousslavsky J, Caplan LR, Donnan GA, Wolf ME, Hennerici MG. The ASCOD phenotyping of ischemic stroke (Updated ASCO Phenotyping). Cerebrovascular diseases (Basel, Switzerland). 2013 ;36(1):1-5.
3. Adams HP, Jr., Bendixen BH, Kappelle LJ, Biller J, Love BB, Gordon DL, et al. Classification of subtype of acute ischemic stroke. Definitions for use in a multicenter clinical trial. TOAST. Trial of Org 10172 in Acute Stroke Treatment. Stroke ; a journal of cerebral circulation. 1993 ;24(1):35-41.
4. Hassager C, Nagao K, Hildick-Smith D. Out-of-hospital cardiac arrest : in-hospital intervention strategies. Lancet. 2018 ;391(10124):989-98.
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6. Finsterer J, Aliyev R. Metabolic stroke or stroke-like lesion : Peculiarities of a phenomenon. Journal of the neurological sciences. 2020 ;412:116726.
7. Kinoshita H, Turkan H, Vucinic S, Naqvi S, Bedair R, Rezaee R, et al. Carbon monoxide poisoning. Toxicology reports. 2020 ;7:169-73.
8. Dirnagl U, Iadecola C, Moskowitz MA. Pathobiology of ischaemic stroke : an integrated view. Trends in neurosciences. 1999 ;22(9):391-7.
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15. Campbell BCV, Majoie C, Albers GW, Menon BK, Yassi N, Sharma G, et al. Penumbral imaging and functional outcome in patients with anterior circulation ischaemic stroke treated with endovascular thrombectomy versus medical therapy : a meta-analysis of individual patient-level data. Lancet neurology. 2019 ;18(1):46-55.
16. Thomalla G, Boutitie F, Ma H, Koga M, Ringleb P, Schwamm LH, et al. Intravenous alteplase for stroke with unknown time of onset guided by advanced imaging : systematic review and meta-analysis of individual patient data. Lancet. 2020 ;396(10262):1574-84.

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