7.1 Épidémiologies des tumeurs cérébrales de l’adulte

Julien ENGELHARDT, M.D., Hugues LOISEAU, M.D., Ph.D., CHU Bordeaux, mars 2022.

QCM :

Parmi ces propositions, cochez la ou les bonnes réponses :
1-l’incidence annuelle est en augmentation pour la plupart des grandes catégories histologiques
2-l’incidence annuelle de l’ensemble des TCP est trois fois inférieure à celle des cancers du poumon
3-les registres de cancers fournissent des informations fiables sur l’incidence des TCP bénignes
4-les méningiomes sont observés dans 1% des cas au-delà de 60ans
5-chaque hémangioblastome survenant chez un patient atteint d’un VHL est collecté dans les registres de TCP

Parmi ces propositions, cochez la ou les bonnes réponses
1-un terrain atopique diminue le risque de survenue d’un gliome de 30%
2-un antécédent d’irradiation encéphalique est un facteur avéré du risque de survenue d’une TCP
3-les syndromes de prédisposition familiale représentent 30% de l’ensemble des TCP
4-l’âge et le sexe sont des facteurs significatifs du risque de survenue d’une TCP
5-les pesticides sont des facteurs de risque, de survenue d’une TCP, bien établis

Introduction

L’épidémiologie est la discipline médicale dont les objectifs sont triples :

  1. Descriptifs : de l’état de santé de la population et de ses évolutions (prévalence, incidence, mortalité, létalité….).
  2. Analytique : recherche et identification des facteurs de risque/déterminants des maladies (études comparative).
  3. Interventionnel : évaluation de l’efficacité des interventions mises en œuvre pour contrôler un événement de santé

Les tumeurs cérébrales primitives (TCP) forment un ensemble complexe et hétérogène, se prêtant mal aux études épidémiologiques, principalement à cause de la dispersion des sous-types histologiques pour des maladies dont l’incidence globale reste relativement faible.

1-Epidémiologie Descriptive

Si de rares travaux se sont intéressés à la prévalence, des données indirectes sont disponibles. Ainsi, la réalisation d’une imagerie cérébrale identifie des méningiomes d’environ 1 % de la population féminine au-delà de 60 ans (1).

En revanche, l’incidence annuelle, qui est l’indicateur autorisant des comparaisons spatiales ou temporelles et répond à des fins de surveillance, se situe, actuellement, aux alentours de 20 nouveaux cas/100 000 habitants et par an.
Dans tous les cas, l’incidence réelle des TCP est sous-évaluée.
En effet, beaucoup d’informations proviennent des registres de cancers, qui, comme leur nom l’indique, n’ont pas ou peu d’information concernant les TCP bénignes.
Les registres spécialisés sont plus rares. Le plus important est le Central Brain Tumor Registry of the United States www.cbtrus.org (2), un autre est fondé sur la population de la Gironde, http://etudes.isped.u-bordeaux2.fr/registres-cancers-aquitaine/Snc/) (3).
Obtenir un enregistrement exhaustif constitue un de leurs objectifs majeurs souvent difficile à atteindre pour plusieurs raisons. Ainsi, certains patients peuvent être traités sans avoir eu d’intervention, certaines tumeurs peuvent devenir malignes (alors qu’elle ne l’était pas lors de la prise en charge initiale), d’autres peuvent récidiver soit localement soit à distance alors qu’un même patient ne peut être pris en compte qu’une seule fois pour une même catégorie histologique.
L’incidence des tumeurs cérébrales primitives n’est pas identique dans toutes les tranches d’âges. Ainsi, et même si l’incidence des tumeurs cérébrales chez l’enfant est 4 fois inférieure à celle de l’adulte, elle y est plus importante avant 10 ans, pour diminuer jusqu’à 35 – 40 ans pour ensuite augmenter de manière linéaire et significative. Une baisse de l’incidence, dans les tranches d’âge les plus âgées est généralement observée mais avec des variations, qui tiennent pour partie de l’accès aux soins.
Tous les travaux retrouvent une augmentation, entre les années 1970 et 1990, d’environ 1% par an chez l’adulte et de 1 à 2% chez l’enfant, variable selon le type histologique, lui-même soumis aux modifications successives des classifications histologiques.

On explique volontiers cette augmentation par plusieurs éléments.

  • La population des pays industrialisés augmente et vieillit et les tumeurs cérébrales ont une incidence élevée au-delà de 60 ans.
  • L’accès à l’imagerie diagnostique s’est considérablement amélioré au cours des 25 dernières années. Ceci a conduit à la réalisation d’un nombre, considérablement plus important de scanners et/ou d’IRM. De plus, les procédures neurochirurgicales se sont elles aussi adaptées.
  • En revanche, les méningiomes et les tumeurs de l’enfant échappent à ces considérations en continuant de croître.

L’incidence des tumeurs peut varier du simple au double selon la tranche d’âge, le type de tumeur ou le pays. Même si les comparaisons sont difficiles et doivent rester prudentes car les périodes d’analyse, les moyens diagnostiques et la structuration des différentes sources de données varient, ces constatations sont troublantes mais posent la question du rôle des facteurs de risque.

En France, le taux de mortalité, par tumeur cérébrale a doublé au cours des 30 dernières années (Source INVS/INCa).

2-Epidémiologie Analytique (4)

2-1 Facteurs Intrinsèques

 Il existe des variations ethniques dont l’analyse peut être obérée par des questions de recueil de l’information. Ainsi, aux Etats-Unis, les tumeurs cérébrales malignes sont plus fréquentes chez les caucasiens, mais, revanche, les méningiomes et les tumeurs hypophysaires sont plus fréquents chez les noirs. L’ethnie juive à un risque plus élevé de développer un méningiome. En revanche, l’incidence des tumeurs cérébrales est plus faible au Japon.
 Certaines tumeurs se répartissent de manière inégale selon le sexe. Ainsi, les méningiomes prédominent chez les femmes (entre 1/2 et 1/4), et les gliomes prédominent chez l’homme dans un rapport de 1.5 à 1.8/1.
 Plusieurs maladies héréditaires connues (neurofibromatoses, maladie de Von Hippel-Lindau, syndrome de Turcot, de Li-Fraumeni, etc.) prédisposent à la survenue de tumeurs cérébrales, comptant pour 2 à 5% du total seulement. En dehors de ces maladies, il semble exister des associations, au sein d’une même famille, soit de gliomes, soit de mélanome et de gliomes, ou de méningiomes sans que les raisons précises en soient connues.
 L’analyse des polymorphismes génétique constitue une voie de recherche particulièrement intéressante surtout lorsqu’elle est couplée à celle des facteurs d’exposition. Ainsi, un exemple intéressant est donné par un polymorphisme enzymatique particulier qui augmente le risque de survenue d’un méningiome et se majore avec une exposition professionnelle au plomb. Des publications récentes ont individualisé des caractéristiques génétiques pouvant prédisposer à la survenue d’un glioblastome. Néanmoins, beaucoup de résultats sont variables et attendent confirmation.
 Il a été noté que les sujets ayant un terrain atopique (asthme, eczéma, etc.) ont une réduction (d’environ 30%) du risque de survenue d’un gliome et ceux ayant une maladie auto-immune (polyarthrite rhumatoïde, etc.) de 30 à 50%, celui d’un gliome ou d’un méningiome.

2-2 Facteurs Extrinsèques du Risque

 L’ingestion de composés nitrosés présents dans l’alimentation, l’aspartame, la consommation de café ou encore d’alcool ne constituent pas un facteur de risque. En revanche, la consommation de carotènes, de certaines fibres alimentaires réduirait de 50 à 60% le risque de survenue d’un gliome.
Le tabagisme est un facteur de risque beaucoup moins évident que dans d’autres cancers.
 Des infections par des virus du type herpès ou des grippes récurrentes réduiraient, de 30 à 40%, le risque. Les enfants nés en automne ou en hiver auraient un risque significativement plus élevé de développer une tumeur cérébrale. Ceci constitue un soutien indirect à l’hypothèse d’une infection survenue en cours de grossesse ou immédiatement après la naissance.
 La prise régulière d’anti-inflammatoires non stéroïdiens réduit, d’environ 50%, le risque de survenue d’un gliome. En revanche, l’exposition, pendant la grossesse, à différentes classes de médicaments (anti-épileptiques, « tranquilisants », diurétiques, analgésiques) n’a pas d’effet.
 Le rôle potentiel d’une imprégnation hormonale normale ou artificielle a été étudié chez les patients atteints d’un gliome ou d’un méningiome. Cette hypothèse constituait à la fois une explication et un moyen thérapeutique potentiel.
Concernant les gliomes, si une contraception orale n’a pas d’influence, en revanche un traitement hormonal substitutif diminuerait le risque et un âge tardif des premières règles l’augmenterait. Concernant les méningiomes, si une contraception orale n’a pas d’influence, en revanche, l’allaitement diminuerait le risque et un traitement hormonal substitutif ou une masse corporelle élevée l’augmenteraient. Une amélioration très significative de la connaissance provient de différents travaux concernant l’observation de méningiomes souvent multiples, d’une topographie particulière survenant chez des sujets exposés à des doses élevées d’acétate de cyprotérone et aussi de macroprogestatifs (5). Même s’il est difficile d’affirmer que l’exposition a conduit à modifier l’incidence annuelle des méningiomes (certains de ces macroprogestatifs ne sont pas commercialisés aux États-Unis où l’on observe une augmentation de l’incidence annuelle de méningiome similaire à celle observée en France, l’utilisation d’autres moyens contraceptifs fondé sur la progestérone rend les comparaison difficile), il est bien évident que cette situation offre une situation paradigmatique pour étudier les interactions entre l’environnement et l’individu.

Pesticides
En milieu rural, les types de cancers sont répartis différemment, et, en particulier, les tumeurs cérébrales (excès de risque de l’ordre de 30%). Le potentiel cancérogène d’un certain nombre de pesticides a été démontré. Aucune famille de produits n’est, aujourd’hui, mise en cause, mais le nombre d’études discriminant finement les expositions est réduit (il y a près de 1000 molécules). Si les résultats sont, actuellement, contradictoires, le principe de précaution maximum devrait être appliqué.

Radiations Electromagnétiques
 Les tumeurs cérébrales ne font pas exception au concept (introduit en 1948) de tumeur radio-induites. Ainsi, l’exposition aux radiations ionisantes est un facteur de risque de survenue des tumeurs cérébrales, risque qui augmente avec le temps. Historiquement il existe trois grandes situations qui ont été assez largement étudiées.
La première est celle des survivants aux bombardements anatomiques de la 2e guerre mondiale, la seconde est constituée par la cohorte tinea capitis et la 3e est constituée par les enfants ayant survécu de leur cancer ayant nécessité une irradiation cérébrale
Les irradiations faites à titre diagnostique (radiographies, scanner crânien, etc.) ou lors d’une exposition professionnelle ne modifient pas le risque. Seule la répétition des panoramiques dentaires le multiplierait par 2.
 Présents dans nos milieux de vie depuis le développement de l’énergie électrique, les champs électromagnétiques (CEM) génèrent des expositions nettement plus élevées dans les circonstances professionnelles, que dans les utilisations domestiques. Dans ces situations, les études ont eu des résultats souvent contradictoires.
Les téléphones portables induisent, lors de leur utilisation, un CEM variable selon le type d’émetteur. Différents systèmes, opérant des fréquences variables ont été introduits successivement compliquant l’analyse dans un domaine ouvert à la polémique et à l’inquiétude.
Des études anciennes avaient trouvé que l’utilisation du système analogique Nordic Mobile Telephone augmentait le risque. Avec ceux utilisés actuellement, la très grande majorité des études, effectuées dans différents pays (Amérique du Nord, Europe, Japon) a eu des résultats négatifs. Deux méta-analyses (tenant compte du siège tumoral, du système utilisé et du temps d’utilisation), ont des résultats qui ne permettent pas d’incriminer l’utilisation des téléphones portables comme facteur de risque.
Cependant, les quelques résultats discordants publiés et les modifications considérables d’utilisation (durée) et d’utilisateurs (enfants) survenues au cours des dernières années, incitent à une certaine prudence.

Autres
Différentes expositions augmenteraient significativement le risque, mais sans que ces données aient été confirmées.

L’identification des facteurs extrinsèques est rendue complexe par les inévitables biais qui surviennent en situation d’études dans les populations humaines.

  • Le seuil toxique et la durée d’exposition minimale sont, très souvent, inconnus.
  • La survenue d’un événement et d’une exposition antérieure sont analysés comparativement à un groupe témoin.
  • Un pourcentage variable des sujets ne peut répondre et le questionnaire est rempli par des proches. Cela induit un certain degré d’approximation.
  • Les contraintes liées à l’évolution des systèmes de codage des informations concernant les tumeurs ou à leur manque de reproductibilité sont évidentes.
  • L’incidence assez faible limite les effectifs et, beaucoup d’études englobent différents types histologiques, comme s’ils avaient la même cause.
  • Pour différentes raisons, l’incidence des tumeurs cérébrales augmente. La place des facteurs propres à l’individu ou ceux appartenant à l’environnement ne sont pas, encore, précisément définies.

REFERENCES :

1. Bos D, Poels MMF, Adams HHH, Akoudad S, Cremers LGM, Zonneveld HI, et al. Prevalence, Clinical Management, and Natural Course of Incidental Findings on Brain MR Images : The Population-based Rotterdam Scan Study. Radiology. nov 2016 ;281(2):507‑15.
2. Ostrom QT, Cioffi G, Waite K, Kruchko C, Barnholtz-Sloan JS. CBTRUS Statistical Report : Primary Brain and Other Central Nervous System Tumors Diagnosed in the United States in 2014-2018. Neuro-Oncol. 5 oct 2021 ;23(Supplement_3):iii1‑105.
3. Pouchieu C, Gruber A, Berteaud E, Ménégon P, Monteil P, Huchet A, et al. Increasing incidence of central nervous system (CNS) tumors (2000-2012) : findings from a population based registry in Gironde (France). BMC Cancer. 14 juin 2018 ;18(1):653.
4. Ostrom QT, Adel Fahmideh M, Cote DJ, Muskens IS, Schraw JM, Scheurer ME, et al. Risk factors for childhood and adult primary brain tumors. Neuro-Oncol. 4 nov 2019 ;21(11):1357‑75.
5. Weill A, Nguyen P, Labidi M, Cadier B, Passeri T, Duranteau L, et al. Use of high dose cyproterone acetate and risk of intracranial meningioma in women : cohort study. BMJ. 3 févr 2021 ;372:n37.

Bos D, Poels MMF, Adams HHH, Akoudad S, Cremers LGM, Zonneveld HI, et al. Prevalence, Clinical Management, and Natural Course of Incidental Findings on Brain MR Images : The Population-based Rotterdam Scan Study. Radiology. nov 2016 ;281(2):507‑15.
La mise à jour du travail publié dans le NEJM en 2007 par Vernooij et al.

Ostrom QT, Cioffi G, Waite K, Kruchko C, Barnholtz-Sloan JS. CBTRUS Statistical Report : Primary Brain and Other Central Nervous System Tumors Diagnosed in the United States in 2014-2018. Neuro-Oncol. 5 oct 2021 ;23(Supplement_3):iii1‑105.
La dernière mise à jour du registre américain. Elle mérite d’être comparée à leurs publications antérieures. Ce sont des données issues d’un registre ce qui sous-entend qu’un patient ne peut être inclus qu’une fois, hormis histologie différente (i.e. schwannome et méningiome).

Pouchieu C, Gruber A, Berteaud E, Ménégon P, Monteil P, Huchet A, et al. Increasing incidence of central nervous system (CNS) tumors (2000-2012) : findings from a population based registry in Gironde (France). BMC Cancer. 14 juin 2018 ;18(1):653.
Ce travail issu du registre spécialisé de la Gironde permet d’avoir un aperçu de la distribution des tumeurs primitives en France, pour autant que les départements soient structurés de la même manière en âge et sexe (ce qui n’est pas tout à fait le cas).

Ostrom QT, Adel Fahmideh M, Cote DJ, Muskens IS, Schraw JM, Scheurer ME, et al. Risk factors for childhood and adult primary brain tumors. Neuro-Oncol. 4 nov 2019 ;21(11):1357‑75.
Une revue récente et très exhaustive des données de la littérature

Weill A, Nguyen P, Labidi M, Cadier B, Passeri T, Duranteau L, et al. Use of high dose cyproterone acetate and risk of intracranial meningioma in women : cohort study. BMJ. 3 févr 2021 ;372:n37.
Le travail de synthèse qui concerne la prise d’acétate de cyprotérone et l’observation des méningiomes

Réponses QCM :
QCM 1 : 1, 2, 4
QCM 2 : 1, 2, 4

Points forts

  • L’incidence globale des tumeurs primitives du SNC est de 23 nouveaux cas/ 100 000 habitants / an
  • La tumeur maligne la plus fréquente est le glioblastome (15% des tumeurs), la tumeur bénigne la plus fréquente est le méningiome (38% des tumeurs)
  • Seuls quelques registres spécialisés dans les tumeurs du SNC permettent de réaliser une veille épidémiologique des tumeurs bénignes et malignes
  • Les facteurs de risques de survenue d’une tumeur primitive du SNC bien établis sont certains syndromes génétiques, l’âge, le sexe, les antécédents d’irradiation encéphalique surtout dans l’enfance, et pour les méningiomes vraisemblablement l’exposition prolongée aux macro-progestatifs.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?